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Les émissions CO2 évitées : un outil stratégique au-delà d’un nouveau regard sur l’impact climat


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Dans les réflexions autour de la contribution à la neutralité carbone, le pouvoir décarbonant des entreprises à travers les « émissions évitées » - parfois assimilées au scope 4 - vient apporter un nouveau regard sur leur impact climat.


Aux termes de la définition qui en est donnée par l’ADEME, les « émissions évitées par une organisation concernent les réductions d'émissions réalisées par ses activités, produits et/ou services, lorsque ces réductions se réalisent en dehors de son périmètre d'activité. Elles sont évaluées au regard d'un scénario de référence »[1].


S’inscrivant comme un pilier de la comptabilité carbone vers le Net Zero, aux côtés du bilan carbone (émissions induites, directes et indirectes) et de la contribution aux puits de carbone (émissions négatives), les émissions évitées consistent ainsi à proposer au marché une alternative à plus faible impact carbone sur un même usage, « évitant » à d’autres parties prenantes (clients, fournisseurs, partenaires) de provoquer certaines émissions (alors valorisées) venant in fine minimiser l’empreinte carbone globale.


Ainsi, et à titre d’illustration, la rénovation énergétique d’un bâtiment va permettre une moindre consommation ultérieure d’énergie ; la création ou le renforcement d’une ligne ferroviaire va générer un report modal synonyme de baisse du trafic automobile et des émissions CO2 associées, etc.

Si cela ne doit en aucun cas amoindrir l’effort en matière de réduction des émissions directes et indirectes, raisonner en émissions évitées permet de compléter cet effort dans une approche à 360° de la comptabilité carbone ; et apporte des perspectives intéressantes pour les entreprises, à condition de s’emparer complètement du sujet.


1. Se positionner comme un acteur contributif de la résilience climatique pour influencer son écosystème

En tant qu’entreprise, compléter la lecture de sa performance environnementale avec ce nouvel indicateur extra-financier que constitue les émissions évitées impacte directement le potentiel d’influence auprès de l’écosystème de parties prenantes :

  • Auprès des clients : la mise en avant des émissions évitées permet aux consommateurs d’intégrer les considérations climatiques dans leurs critères de choix de produits ou solutions. S’il faut noter les nombreux écueils pour tendre vers la comparaison de produits similaires sur le plan climatique (étant donné la coexistence de plusieurs méthodes de calcul), cette démarche permet néanmoins pédagogie et sensibilisation de l’aval de la chaîne de valeur

  • Auprès des actionnaires, investisseurs ou assureurs de plus en plus soucieux de la robustesse des stratégies climat des entreprises : la quantification des émissions évitées permet ici de clarifier le traitement de la question du climat par l’entreprise et d’en montrer une vision 360

  • Auprès de sa filière : au-delà de l’aide à la prise de décision au sein de l’entreprise concernée, l’outil peut être mobilisé auprès de l’écosystème (partenaires, concurrents…) dans un objectif de concertation afin de maximiser l’impact positif de l’ensemble de la filière

  • Auprès des pouvoirs publics : la mise en perspective des évitements au sein des filières industrielles peut guider certaines décisions publiques de soutien sectoriel, de la même façon que le calcul systématique des externalités positives (dont émissions évitées) générées par les projets publics d’investissements supérieurs à 100 M€ servent à l’appui du design des montants de soutien nationaux et européens[2]

Pour affirmer sa contribution, il est important d’être à la fois précis et pédagogique dans la façon de calculer puis de diffuser ce calcul au monde extérieur. Le contraire pouvant rapidement être contre-productif, les acteurs qui structurent et promeuvent le Net Zero multiplient les alertes à ce sujet : en particulier, il est important de ne pas reléguer au second plan les réductions d’émissions au-delà des évitements et de ne pas additionner réductions d’émissions et émissions évitées.


2. Mettre en place des bonnes pratiques pour le calcul des émissions évitées

Les émissions évitées sont évaluées en étudiant un cas d’usage sur une durée à définir, tout en respectant certaines bonnes pratiques pour garantir la bonne utilisation de cet outil et en assurer la crédibilité : :

  • La situation étudiée : le cas d’usage que l’on souhaite étudier, basé sur des paramètres représentatifs de l’activité de l’entreprise concernée.

  • La situation de référence : il peut s’agir selon le contexte de la solution moyenne proposée sur le marché répondant au même besoin, les exigences réglementaires concernant l’action réalisée, ou bien encore la situation antérieure projetée sans application du produit ou service étudié.

  • La durée de projection sur la base de laquelle les émissions évitées sont calculées : elle doit refléter la « durée de vie moyenne » du produit ou service considéré dans la situation étudiée, afin de projeter les écarts d’émissions sur une durée pertinente

  • L’extrapolation : Si l’ambition est d’évaluer les émissions évitées à l’échelle d’une entreprise complète, une extrapolation sur la base de cas d’usage représentatifs d’une part significative de son activité peut être utilisée. Cette extrapolation se base sur l’usage de métriques à définir : tCO2e évitées par € de chiffre d’affaires, ou par volumétrie / surface, ou par nombre d’unités…

  • La méthode employée : elle doit être communiquée de façon indissociable des résultats et auditée par un organisme tiers, afin d’assurer l’objectivité des résultats des éviter les mauvaises interprétations

  • La comptabilisation du résultat : les émissions évitées ne doivent pas être intégrées dans le bilan carbone de l’entreprise dans la mesure où c’est une étude dont le périmètre diffère

  • La crédibilité : L’entreprise considérée doit avoir une contribution minimum à la situation de référence, sinon quoi la mesure des émissions évitées pourrait être qualifiée d’illégitime de sa part

  • Les cas d’usage étudiés : ils doivent être représentatifs de l’activité globale de l’entreprise et ne doivent pas uniquement représenter la part d’activité ayant un impact positif en masquant par la même occasion des effets négatifs. Pour cela, une méthode possible est de comptabiliser au même titre que les émissions évitées, des « émissions ajoutées » lorsque la situation étudiée d’un cas d’usage représente des émissions supérieures à celle de la situation de référence

Cette méthode de calcul doit impérativement être pensée par chaque entreprise qui s’y adonne comme évolutive et itérative, afin d’intégrer aussi bien l’évolution des activités concernées, que les avancées scientifiques et méthodologiques de mesure du carbone.


3. Faire des émissions évitées un véritable outil stratégique

L’intégration des évitements dans le modèle d’entreprise doit conduire à opérer une transformation de son pilotage et de certains de ses modes de fonctionnement.


Guider les choix stratégiques et les investissements

À partir du calcul des émissions évitées, l’entreprise peut notamment identifier les produits / marchés / partenaires les plus contributifs au climat et sur lesquels investir dans la durée. Dans un monde qui tend de plus en plus à valoriser le bas carbone, ce KPI permet d’orienter les flux d’investissements sur des choix plus pérennes et appréciés des clients. C’est le cas de la SNCF qui a réalisé, en 2016, une étude sur les émissions évitées par le biais de ses actions de maintenance et d’ajout de nouvelles lignes ferroviaires dans le cadre de son programme Green Bonds, résultant en l’intégration des émissions évitées dans sa stratégie d’investissements d’infrastructures ferroviaires.


Travailler le go-to-market des solutions maximisant les émissions évitées

Le travail en profondeur sur le « go-to-market » de la solution à fort potentiel d’évitement est clé pour atteindre son marché : il s’agit de combiner pédagogie, transparence et clarté pour imposer la solution sur le marché en explicitant toute sa contribution au climat auprès des consommateurs et partenaires.


Tracker l’évitement grâce aux bons process

La capacité à tracker l’évitement impose de repenser le process et les méthodes de quantification, qui viendront in fine impacter le protocole de reporting RSE. Or, la comptabilisation des émissions évitées n’est pas simple et nécessite de faire convergence connaissance réglementaire, connaissance des produits et solutions internes (e.g. estimations environnementales, durée de vie), maîtrise de la chaîne de valeur et benchmark externe, au-delà d’orchestrer un audit par un organisme tiers.



L’identification des émissions évitées vient nourrir à la fois les stratégies climat des entreprises et les façons de piloter plus globalement l’activité. Si ce concept ne doit pas déprioriser le focus sur la réduction des émissions, il apporte une innovation méthodologique permettant de valoriser certaines solutions et de faire émerger des modèles économiques plus vertueux vers un monde bas-carbone.


[1] Ademe : https://librairie.ademe.fr/cadic/406/fiche-technique-emissions-evitees-2020-02.pdf?modal=false [2] On citera par exemple l’évaluation du projet de liaison ferroviaire Roissy Picardie, dont le calcul des externalités aboutit à une VAN positive à hauteur d'environ 430 M€, justifiant un financement à majorité porté par l'Etat.



Auteur :


Sandra Bertholom

Partner Kéa





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