En 100 ans, la population mondiale a été multipliée par 3, la consommation d’eau par 6. Chaque humain en consomme donc deux fois plus. Les apparences rassurent : à l’échelle de la planète, la quantité d’eau est stable. Les faits par contre, angoissent ! Lorsqu’elle change sa forme (liquide – gazeuse – solide) ou sa réparation géographique (air – sol – surface), l’eau modifie son accessibilité. Or avec le réchauffement climatique, progressent la phase de l’eau salée, impropre à l’utilisation agricole et celle de l’eau gazeuse, atmosphérique, inaccessible.
Tous les modèles convergent : l’évapotranspiration augmente, la ressource disponible diminue.
En premier lieu, il faut distinguer l’eau prélevée (utilisée puis restituée directement dans le milieu) de l’eau consommée qui ne retourne pas au milieu aquatique après usage.
Le secteur énergétique représente certes le premier préleveur d’eau en France, mais en restitue 97 % directement au milieu naturel. A contrario, l’agriculture la consomme intégralement et bien qu’elle ne prélève que 9 % de l’eau, elle représente 58 % de l’eau consommée en France.[1]
L’utilisation massive de l’eau par l’agriculture attire légitimement l’attention de la population. Le contexte de pénurie et de restriction place sous tension de larges secteurs économiques et les citoyens eux-mêmes.
Les Français en viennent même aux mains sur la question de l’eau, sujet de tension dans la population, en témoignent les véritables batailles rangées autour des mégas-bassines dans les Deux-Sèvres.
Le système agricole est ainsi brocardé comme un gros consommateur, un gaspilleur et un pollueur.
Consommateur tout d’abord. Avec des prélèvements énormes, l’irrigation représente 48 % des consommations en France, prive ponctuellement d’eau les autres secteurs, perturbe les écosystèmes.
Gaspilleur ensuite : les systèmes d’irrigation peu efficients[2] arrosent surtout du maïs destiné dans sa grande majorité à l’exportation et fait aggravant, à la nutrition animale.
Pollueur enfin : l’eau utilisée, rejetée dans les milieux ou les nappes, contient des nitrates, phosphates et des matières actives nocives aux écosystèmes et à la santé publique.
Travaillons évidemment à rétablir sans relâche les vérités. Bien-sûr il faut expliquer en quoi les caricatures nient l’existence de modèles sobres, rayent du paysage les fermes économes[3], méprisent, en les oubliant, les acteurs soucieux de la qualité des nappes phréatiques. Mais démonter un à un, et avec plus ou moins de facilité les arguments des caricaturistes, constitue un combat d’arrière-garde.
La tension croissante, exercée sur une ressource qui se raréfie, déclenche plus de restrictions préfectorales, interdit mécaniquement son accès. Arbitrer entre les usagers limite les impacts certes mais ne reconstituera pas le niveau des nappes. Déjà, les réserves s’assèchent, restriction ou non. Inutile aussi de chercher de nouvelles ressources : nul ne fait reculer le désert en creusant des puits.
Il paraît donc inévitable que la collectivité impose des conditions pour que les agriculteurs utilisent une eau raréfiée. Ils devront en démontrer un usage modéré, approprié, efficace, et respectueux en termes de qualité de l’eau rejetée.
Les fermes de demain devront gérer l’eau comme un bien commun précieux mis à leur disposition, et la rendre en l’état. Il se nouera alors un pacte social, un accord entre le citoyen et le milieu agricole. « Vous accéderez à l’eau si vous en faites bon usage et la rendez indemne ».
A quel avenir peut prétendre un secteur économique si, en plus d’être socialement dévalorisé et peu rémunérateur, il est perçu comment polluant et irrespectueux des biens communs ? Et si au lieu d’être perçue comme des pompes, les fermes de demain devenaient d’immenses réservoirs. Si leurs sols devenaient de vastes zones de stockage ?
L’agriculture possède de multiples leviers pour y parvenir. Elle peut mettre tous ces moyens à disposition du pacte : capacité des sols à absorber et à restituer l’eau (matière organique, travail du sol, battance, ruissellement, développement racinaire, drainage etc…) implantation de couverts adaptés (sélection génétique, variétés sobres, agroforesterie), pilotage fin des systèmes d’irrigation (numérisation des systèmes, outil d’aide à la décision), réutilisation des eaux usées, maitrise des matières actives, protection des captages et des bassins sensibles etc..
Encore faudra-t-il trouver les mécanismes collectifs (comme les PTGE[4]) et les incitations qui orientent les pratiques, loin des rings médiatiques qui polarisent le débat.
Face aux risques de pénuries chroniques, quel que soit le produit, deux grands leviers économiques sont actionnables. Il faudra sans doute y recourir. Le fait politique d’une part qui viendra légalement, et en permanence, contraindre l’utilisation par le volume (la logique de rationnement). La fiscalité et le marché d’autre part, qui viendront limiter la demande par le prix et l’orientation des actes d’achat [5]. Mais à ce propos, comment le consommateur peut-il favoriser les produits sobres issus de système frugaux en eau ?
L’eau, physiquement, se trouve partout, dans les mers, dans l’air, les sols, les plantes et les animaux. Elle se montre indispensable à tous les secteurs économiques. Ses propres enjeux nationaux s’élèvent à plusieurs milliards d’Euros (réseau, distribution, épuration, eau en bouteille). Présente dans les esprits, les débats, elle soulève des questions de sociétés considérables à l’échelle mondiale, des tensions graduelles allant de la banale dispute entre voisins, aux plus graves mouvements de population devant la famine.
Etrange paradoxe, pour le citoyen, le consommateur, lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact d’un produit ou d’une pratique sur l’eau, cette eau n’est nulle part. Pas de mesure, ni de mentions légales, peu de label[6], pas d’indications sur l’impact du produit, sa consommation directe et virtuelle [7], locale, importée ou exportée, ni taxe, ni incitation : un quasi désert pour le consommateur sans boussole. L’eau disparaît. Evaporée.
Qui se sentira suffisamment fort ou légitime pour s’emparer du sujet ? L’adresser seul, alors qu’il s’agit d’un bien commun, le place hors de portée. Pour intégrer les deux dimensions économique et sociétale, il faut penser et déployer une approche nouvelle, basée sur un écosystème d’acteurs : les représentants de l’Etat, les agriculteurs, les gestionnaires de bassins (EDF ou Région), les Agences de l’eau et les représentants des autres usages.
Kéa apporte au porteur de projets collectifs, une vision stratégique, une méthode innovante qui permet de poser le diagnostic, identifier les objets communs, penser les solutions, définir les leviers et les financements. Elle définit le périmètre, identifie les acteurs clés et leurs rôles, construit une gouvernance et assure une création de valeur pour toutes les parties prenantes. Kéa met à disposition cette méthode, dite des écosystèmes intégrés.
[1] Les usagers de l’eau potable 26 %, les centrales électriques 12 %, l’industrie 4 % | Source : Ministère de la Transition écologique – juin 2023 [2] 50 à 65 % source INRAE [3] 30 % d’économie d’eau ont été fait ces dix dernières années par les irrigants et la France possède un des modèles le plus efficients d’Europe [4] Les Projets de Territoire pour la Gestion de l’Eau est une démarche qui vise à impliquer les usagers de l’eau d’un territoire (consommation d’eau potable, usages pour l’agriculture, l’industrie, l’énergie, la navigation, la pêche, etc.) dans un projet global en vue de faciliter la préservation et la gestion de la ressource en eau. [5] La France facture en moyenne 4, 17 € le mètre cube d’eau derrière l’Allemagne (4.73), la Belgique (4.99) et l’Angleterre (5.99) | Source Prix m³ eau Europe : comparaison Belgique et Europe (callmepower.be) [6] Quelques rares labels, peu répandus et facultatifs existent comme le Water Foodprint Network [7] L’eau virtuelle est la quantité d’eau totale consommée pour fabriquer un bien de consommation
Auteurs :
Christophe Burtin
Senior Partner Kéa
Jean de Chanay
Senior Advisor agriculture Kéa
Angelos Souriadakis
Senior Partner Kéa Ylios
Fabrice Catala
Senior partner Kéa Ylios
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