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Autonomie des équipes : la fin du management ? Non, bien au contraire !



Pourquoi les organisations responsabilisantes ont-elles besoin de plus de management que les autres ? Les lecteurs de HBR ont plébiscité la réponse à cette question !


Les idées et la pratique de l’autonomie dans les organisations gagnent du terrain en France depuis plusieurs années. Ce mouvement perdure et s’amplifie sous l’effet conjugué de l’évolution des attentes des collaborateurs et de la diffusion rapide de méthodes de travail innovantes. Qu’il s’agisse de rendre son entreprise plus attractive, de trouver de nouvelles clefs à l’engagement des salariés ou plus simplement de ne pas risquer de manquer un virage de l’innovation managériale, de plus en plus de dirigeants français, y compris dans de grandes entreprises comme Michelin ou Airbus, promeuvent de nouvelles organisations dont l’un des fils rouges est l’autonomie laissée aux collaborateurs.


Ces nouvelles idées rencontrent un certain écho en France où le poids de la hiérarchie s’avère plus important que chez nos voisins d’Europe du Nord (Suède, Finlande, Danemark, Irlande, Pays-Bas). Individualiste, pas assez bienveillant, archaïque... tels sont les clichés qui collent au management à la française [1], alors même que les attentes des salariés évoluent notamment sous l’effet de l’élévation général du niveau d’éducation.


Fustigeant les systèmes traditionnels de « command and control », certains sont même allés jusqu’à mettre en cause le rôle des cordées managériales et de certaines fonctions centrales dans l’entretien d’organisations déresponsabilisant les salariés. On a ainsi vu fleurir de nombreux nouveaux concepts autour de l’idée « d’organisation sans chef » ou « d’entreprise libérée ».


A l’inverse de ces courants idéologiques, nous pensons que les entreprises qui veulent pouvoir s’appuyer sur des collaborateurs plus autonomes ont plus que jamais besoin de plus de management que les autres.



Le management est un fondement de l’autonomie au travail

Comme dans la vie en général, l’autonomie au travail ne se décrète pas, elle s’apprend et donc elle s’enseigne. Or les managers sont en première ligne pour enseigner cette prise d’autonomie, non pas pour scier la branche sur laquelle ils sont assis mais pour monter à leur tour en autonomie et élargir leur champ d’action. Cette montée en autonomie passe par plusieurs étapes allant de l’apprentissage du dialogue constructif jusqu’à la coopération et la capacité à mesurer et rendre compte de ses résultats. L’autonomie au travail ne peut s’épanouir durablement et efficacement que dans un cadre où s’exerce une forme d’autorité. Par exemple, en adoptant très largement une démarche de Lean Management, PSA a mis les collaborateurs en situation de prise d’initiatives en matière d’amélioration continue, tout en laissant aux managers le soin de réguler ces apports et contributions.


Ensuite, parce que l’autonomie n’est pas l’indépendance. Une organisation, même composée d’hommes et de femmes libres d’influer sur leur travail, n’a de sens que si elle comporte une forme d’unité d’action que l’on trouvera dans une culture commune, une vision partagée et un dessein auquel chacun a choisi de contribuer. L’autonomie au travail n’est donc pas la liberté d’agir à sa guise mais la liberté de contribuer à un projet collectif et les managers sont les premiers garants de la cohérence de ce projet. C’est ainsi, par exemple, que les expérimentations d’autonomie chez Michelin se font au service d’une raison d’être très clairement affichée (offrir à chacun une meilleure mobilité) et de valeurs vécues, au premier rang desquelles le respect de la personne humaine, le bien-être au travail, la confiance et l’ouverture des équipes sur le monde.


Enfin, parce qu’aucune entreprise n’évolue plus en vase clos : toutes sont soumises à des obligations réglementaires, des attentes de leurs actionnaires ou à la vigilance d’organisations indépendantes. L’autonomie de chacun des collaborateurs engage la responsabilité de toute l’entreprise : un dérapage local peut déstabiliser toute une organisation. Il apparaît donc impossible pour de grandes entreprises internationales de se passer de la fonction de contrôle qu’occupent une structure hiérarchique.



Pour réussir, ce type de management doit évoluer et être basé sur la confiance

Il n’en demeure pas moins que le rôle des managers va devoir évoluer en profondeur pour accompagner un mouvement d’autonomisation qui semble inéluctable.


Pour ceux qui étaient habitués à être sur le passage de chaque décision et de chaque information descendant de la direction, le fait de voir leurs équipes grandir en autonomie risque de devenir synonyme d’une perte de sens dans leur métier. Il devient alors nécessaire de déployer et de donner corps à une nouvelle conception du rôle de manager.


Là où un manager « traditionnel » est le principal acteur de la décision et de son exécution, le manager d’une équipe autonome s’en tient à un rôle de catalyseur de la décision en favorisant l’expression d’un consensus. Il œuvre en continu à la montée en autonomie de ses collaborateurs, sans interférer directement dans leur action à moins qu’il ne soit sollicité. Il donne de la méthode, pose des questions et suggère des solutions, met en avant les initiatives et les réussites, promeut les talents.


C’est un manager qui inspire ses collaborateurs et les pousse à l’initiative, en assumant la direction prise dès l’instant où elle rentre en résonance avec l’intérêt de l’équipe et de l’entreprise en général. S’il doit exercer son autorité directe, c’est sur le respect des règles du jeu de l’autonomie et en particulier sur ses contreparties de transparence et de responsabilité. Il doit organiser et susciter l’expression des micro-conflits au sein de l’équipe et se montrer intransigeant sur le respect des valeurs partagées. Il peut conserver un certain nombre de prérogatives qu’il juge impossible de partager comme le recrutement aux postes clefs ou la fixation des objectifs de résultats.


Enfin, le manager d’une organisation autonome joue un rôle clef dans la création de liens de coopération entre ses équipes et leur écosystème. Cela peut même aller jusqu’à représenter la plus grande partie de son temps. Il préfère systématiquement diriger un collaborateur vers un autre plutôt que de s’interposer dans le processus de coopération en apportant directement la réponse. C’est au titre de cette responsabilité de création de liens qu’il installe la confiance : à la fois confiance en soi et confiance dans les autres, deux prérequis à la coopération.


4 axes invariables pour autonomiser l’entreprise

Pour favoriser le déploiement d’une organisation responsabilisante, il est d’abord nécessaire que l’équipe de direction s’aligne et renforce son engagement en faveur de l’autonomie. Au cours de ce processus, le top management pourra prendre la mesure des risques d’une autonomisation et ceux qu’ils acceptent de prendre ensemble, de se rassurer sur la capacité de leurs collaborateurs à prendre leur autonomie (par exemple en rencontrant certaines équipes fonctionnant déjà de manière autonome dans leur entreprise) et enfin de planifier les réformes nécessaires pour rester maître du temps de la transformation.


Un programme de transformation d’autonomisation n’est pas une démarche linéaire. C’est un programme de transformation plus silencieux que sonore qui se bâtit progressivement et se structure toujours autour de quatre axes invariables :

  • Des expérimentations locales connectées entre elles : Il s’agit de confier sur une période déterminée à des équipes la responsabilité de leur performance et de leur donner les moyens nécessaires pour l’atteindre. La montée en autonomie est pilotée par le manager, encadrée par un socle de règles et accompagnée pour faciliter un apprentissage progressif. C’est ainsi que Michelin a entamé sa démarche d’autonomisation de ses salariés par la mise en place de 38 ilots autonomes pilotes dans 18 usines en Europe et Amérique du Nord.

  • La mise en place, grâce aux managers, des quatre conditions favorables à l’autonomie : transparence de l’information entre équipes, responsabilisation sur des résultats, confiance (en soi, dans les autres et dans les intentions de l’entreprise) et enfin coopération qui favorise l’action collective plutôt qu’individuelle.

  • Une transformation managériale qui consiste à former, coacher et accompagner les managers de proximité puis toute la ligne managériale dans la prise en main de leur nouveau rôle.

  • Des changements d’organisation nécessaires qui doivent venir comme une conséquence de la prise d’autonomie des équipes et non comme un prérequis : à mesure que s’étendra le réseau des expérimentations, vont s’exprimer des demandes de la part des équipes à destination du management. Celles-ci portent sur des propositions de réformes structurelles que les équipes jugent nécessaires pour continuer à gagner en autonomie, en performance et en capacité de coopération. Ce fut le cas par exemple chez un grand constructeur automobile qui réduisit de 25% la surface de ses usines grâce à une initiative de terrain. Dans une autre société industrielle, les équipes préconisèrent de réduire de 55% la charge de reporting.


L’autonomisation d’une entreprise n’est donc pas une « libération ». C’est une transformation longue et complexe qui ne peut suivre des méthodes toutes faites. L’engagement des dirigeants dans la durée et le soin qu’ils apportent à observer évoluer les comportements de leurs équipes seront toujours des facteurs clefs du succès d’une marche vers l’autonomie. En apportant constamment les encouragements, les correctifs voire les sanctions nécessaires, les dirigeants et les managers doivent être constamment aux commandes de ces transformations.

Tribune publiée sur hbrfrance.fr le 4 juillet 2018


[1] La Prouesse française : Le management du CAC 40 vu d'ailleurs (éditions Odile Jacob)



Thibaut Cournarie

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