Hélène N'Diaye, Directrice Générale Adjointe du Groupe MAIF et Directrice Générale de MAIF VIE, répond aux questions de Claire de Colombel, Directeur, et Yves Pizay, Partner.
Q#1 : Vous êtes reconnue comme une dirigeante et une femme engagée. Qu'est-ce qui a provoqué pour vous le "déclic responsable" ?
J’ai toujours eu des convictions personnelles en matière d’inclusion et de cohésion sociale. Ma sensibilité écologique est venue un peu plus tard, même si mon grand-père était agriculteur. En revanche, ces convictions se sont invitées plus tard dans le champ professionnel. Tant que j’étais collaboratrice et non dirigeante, je ne me sentais pas vraiment responsable des décisions prises et je n’avais pas connaissance des paradoxes et externalités liés à certaines décisions. Je sentais un équilibre relatif entre les différentes parties prenantes, cela me convenait.
Tout a changé il y a quelques années, quand on m’a confié davantage de responsabilités : j’ai eu une meilleure connaissance de l’équation globale, j’ai vu que les intérêts respectifs de l’actionnariat, des clients et des salariés n’étaient pas équilibrés. Je me suis retrouvée en conflit de loyauté par rapport à certaines décisions. J’avais la conviction qu’il fallait changer l’ordre des facteurs : considérer comme seule priorité le critère financier n’était plus possible pour moi.
Rejoindre la MAIF a été très naturel. La MAIF était déjà dans un cheminement d’engagements et l’équation se faisait entre dirigeants, salariés, sociétaires et administrateurs. Il y a toujours le critère financier dans l’équation, mais à sa juste place.
Aussi, j’ai fait en 2018 le choix qui s’imposait. D’ailleurs, je dirais qu’être société à mission c’est exactement ça : faire prendre conscience des conflits de loyauté potentiels à tous les niveaux de l’entreprise pour que chacun, en conscience, puisse prendre les bonnes décisions sans remonter à l’échelon supérieur. Si ce souci de justesse n’est pas partagé, l’entreprise ne peut pas avoir l’impact espéré.
Q#2 : Comment nourrissez-vous vos convictions en matière de responsabilité ?
En tant que rédactrice en chef du journal l’Actuariel, je travaille avec des journalistes engagés comme moi. Je prends beaucoup de plaisir à effectuer des recherches approfondies avec eux, sur l’impact économique des transitions, par exemple, en interrogeant des sociologues. En plus de cette implication, je me nourris de ce que je lis et vois.
« Il faut trouver l’équation qui nous permettrait d’être suffisamment radicaux pour réveiller les consciences (…) et suffisamment réfléchis (…) pour accompagner le mouvement. ».
Q#3 : Comment cela se matérialise-t-il dans votre quotidien ?
À titre personnel, je suis prête à faire des choix assez radicaux : je ne prends plus l’avion et je refuse d’acheter des marques dont on sait pertinemment qu’elles ne sont pas très respectables.
En tant que dirigeante, je pense que le "best effort" n’est pas suffisant, pas assez volontariste et que l’urgence de la situation fait qu’on ne peut plus s’opposer à la radicalité. Pour autant, je ne suis pas pour la décroissance car, dans le modèle économique actuel, elle mènerait à un contexte social explosif. En fait, tout est question d’équilibres. Il faut trouver l’équation qui nous permettrait d’être suffisamment radicaux pour réveiller les consciences et être à la hauteur des défis, mais suffisamment réfléchis et pédagogiques pour accompagner le mouvement.
« La situation fait qu'on ne peut plus s'opposer à la radicalité »
Exemple typique : les investissements. On doit évidemment investir massivement dans la transition, mais on ne peut pas pour autant lâcher d’un seul coup tous nos actifs échoués, ceux dont on sait très bien qu’ils n’auront bientôt aucune valeur. Autrement, on provoquerait des faillites, et ça serait probablement pire.
Cela dit, je pense que chercher les grands équilibres ne suffit pas non plus. À force de raisonner par dosage et prudence, on ne fait rien. Chacun attend que l’autre fasse le premier pas. Ma conviction, c’est que tant qu’il n’y aura pas un retrait massif des géants de l’économie d’hier, il n’y aura pas de transformation d’ampleur.
Q#4 : Justement, vous avez engagé MAIF VIE dans un projet de transformation ambitieux. Pouvez-vous en rappeler les principaux axes ?
Ils touchent à l’interne et à l’externe et sont liés aux grandes transitions écologiques et sociales.
En interne, il y a tout un travail d’embarquement des équipes et de contribution à tous les échelons de l’entreprise. L’inflexion majeure, c’est de passer des grandes décisions unilatérales à la politique des petits pas collectifs. Cela nécessite de faire pivoter complètement nos modes de travail, la manière dont on conçoit notre métier au quotidien, l’ordre des facteurs qui nous paraît juste dans nos décisions.
En matière d’offre d’épargne, nous voulons garantir des placements durables. Prime à la pérennité, à la sécurité dans le temps. Pour cela, côté investissements, nous portons une attention particulière aux actifs qui contribuent à la transition, en privilégiant bien sûr ceux qui servent une vraie stratégie climat. Nous avons une gamme de support d’unités de compte 100% labélisées (ISR, Greenfin, Relance et Finansol) sur nos contrats d’assurance vie. De plus, nos fonds euros sont soit 100% ISR soit dotés du label Finansol. Si vous épargnez à la MAIF, votre épargne sera forcément labélisée. Sur la prévoyance, nous travaillons autour de la sélection médicale, de l'accessibilité, de la mise à disposition de services.
« En tant que dirigeant, il ne faut rien lâcher. Vous devez incarner cette mission, en faire une préoccupation quotidienne, prendre chaque jour des décisions stratégiques à l’aune du nouveau statut de votre entreprise. »
Q#5 : Cette transformation a été rendue visible avec l'adoption du statut de société à mission. Quel effet cela a-t-il produit ?
Je le vois surtout comme une impulsion. Cela a demandé bien sûr du travail en amont, mais le vrai combat se joue au quotidien, avec deux sujets clés : le rôle du dirigeant et la mobilisation du collectif.
En tant que dirigeant, il ne faut rien lâcher. Vous devez incarner cette mission, en faire une préoccupation quotidienne, prendre chaque jour des décisions stratégiques à l’aune du nouveau statut de votre entreprise. Ce qui change réellement, ce ne sont pas tant les processus de décision que la pondération et la priorisation des facteurs pour les prendre : le financier n’est ni le seul ni le premier critère à prendre en compte.
« L’autre grand défi, c’est d’embarquer le corps social, c’est-à-dire les collaborateurs de MAIF VIE au sens large. Il faut être très humble là-dessus. »
L’autre grand défi, c’est d’embarquer le corps social, c’est-à-dire les collaborateurs de MAIF VIE au sens large. Il faut être très humble là-dessus. Autant, je pense qu’il y a une attente réelle de la part de la société en matière d’engagement des entreprises, autant il y a un chantier colossal du côté des collaborateurs. Historiquement, on les a peu habitués à prendre des initiatives et à aller au-delà de ce qu’attendait le patron. Récemment, nous avons proposé aux collaborateurs d’écrire ensemble les nouveaux accords d’organisation du temps de travail. Pour moi, c’est précisément à cela que sert le statut de société à mission : responsabiliser, créer la prise de conscience et d’initiatives à tous les niveaux.
En interne, nous avons lancé une démarche "zéro papier inutile et Green IT" afin que 100% des collaborateurs soient touchés par ce changement de pratiques. Nous n’avons pas encore suffisamment déployé la formation sur les sujets de responsabilité, mais nous avons commencé à l’aborder dans des modules de sensibilisation sur le gaspillage. A côté de ces petits pas, le sujet est bien placé au niveau stratégique : le Comité de Direction consacre chaque mois 1h à 1h30 à notre mission.
Nous nous appuyons aussi sur nos parties prenantes : communications sur nos nouveaux produits, plus axées sur l’impact que sur les avantages financiers, enquêtes sur les préoccupations du sociétariat qui nous permettent d’appuyer la mobilisation du réseau MAIF pour décliner et amplifier nos initiatives, etc.
Je pense qu’on peut faire beaucoup plus, notamment en poussant la granularité pour que chaque équipe opérationnelle trouve des solutions à son niveau. Historiquement, notre sociétariat est nativement plutôt sensible à ces sujets, mais ce n’est pas forcément le cas de notre corps social. Cela soulève beaucoup de questions en matière de ressources humaines. Devons-nous investir davantage en amont dans la marque employeur pour attirer les profils déjà sensibilisés ? Nous avons essayé plusieurs scénarios. Je constate qu’à nouveau, c’est une question de juste équilibre à trouver, dans un contexte d’urgence à agir. D’un côté, on est soucieux d’incarner des principes d’inclusion sociale : tout le monde doit pouvoir travailler chez nous. De l’autre, on est obligé de s’assurer d’un certain alignement du corps social avec notre mission et nos valeurs.
Q#6 : Comment se mesure l'engagement du corps social sur tous ces sujets ?
J’en ai une perception à travers les enquêtes internes, la nature des sujets qui remontent, la manière dont les dossiers sont portés. Est-ce suffisant ? Sans doute pas. D’autant qu’il peut y avoir des biais cognitifs dans les enquêtes internes.
Mais je me méfie beaucoup de l’automatisation de la mesure. Pour moi, il faut surtout veiller à ne pas perdre pied avec les équipes : ne pas se contenter des rencontres formelles avec les représentants, aller sur le terrain, discuter, comprendre leurs questions et leurs préoccupations, pourquoi pas leur offrir des espaces pour qu’ils puissent parler librement et donner leurs avis sur telle ou telle décision. J’estimerai notre transformation réussie le jour où nous aurons pris tous conscience que notre entreprise n’a pas la même place dans la société, que notre métier n’a pas le même rôle qu’auparavant dans la chaîne économique.
Q#7 : Pour résumer, cette transformation est-elle comme les autres ?
Non. Parce que c’est une transformation complexe dont personne ne connaît la cible a priori. Par exemple, j’ai été interpellée récemment par la question du télétravail. Je voyais à l’origine surtout les vertus au travail à distance : sur le plan écologique avec la réduction des transports, sur le plan social avec le fait de ritualiser des vrais temps en équipe, sûrement plus bénéfiques que les small talks de la machine à café, sur le plan du bien-être personnel aussi, avec la possibilité d’aménager son temps et son équilibre familial…
Et puis, j’ai compris que c’était plus complexe que cela. Un sociologue belge nous a notamment alertés sur les risques d’isolement et de repli de la société, avec des gens qui se parlent moins, ont moins de relations entre eux. Dans cette perspective-là, le bureau pouvait être plus qu’un lieu de travail : un vecteur de socialisation. J’ai revu mon jugement : faire du bureau un vrai lieu d’interactions, quitte à supprimer les bureaux individuels, ne pas régir le télétravail par trop de coercitions…
Avec le corps social, nous partageons la même ambition, les mêmes objectifs. Pour moi, une société à mission, ce n’est pas "Direction" contre "Salariés" : c’est tout le monde ensemble pour faire fonctionner l'entreprise et construire un modèle social souhaitable, dans lequel le lieu de travail est aussi un lieu de relations et de créativité.
« On ne sait à quoi ressemblera le monde dans 10 ans (…). Les modèles de demain ne sont pas encore écrits… »
Le télétravail, le dialogue social ne sont que des exemples. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne sait pas à quoi ressemblera le monde dans 10 ans, et que, par conséquent, on ne peut pas projeter la MAIF avec certitude. La mission aide certes à donner un cap dans les prises de décision. Mais elle ne dessine pas l’entreprise de demain… Bien sûr, il y a des changements de pratique dans nos métiers. Je constate par exemple qu’on renonce désormais assez facilement à des produits peu recommandables. Mais les modèles de demain ne sont pas encore écrits. Nous avons besoin de bons chercheurs pour cela, capables de mettre en cohérence l’économie avec les dimensions sociales, culturelles, environnementales…
Q#8 : Vous êtes optimiste sur vos chances de réussite ?
En interne, j’ai la conviction qu’avec le Comité de Direction nous prenons les bonnes orientations. Mais quand j’ouvre un œil sur l’extérieur, par exemple quand je lis les rapports du GIEC, cela me fait froid dans le dos… Dans quelques décennies, la MAIF sera toujours à Niort… mais ce sera un port !
Je pense que l’on n’est pas à l’abri d’un choc mondial, plus important encore que ceux connus récemment. Comme on ne sait pas d’où le coup va venir, il faut s’y préparer de manière holistique, se connecter à des tendances de fond : le réchauffement climatique et l’insuffisance des mesures gouvernementales, les inégalités de revenus devenues intenables… Le risque c’est que face à tous ces facteurs, on en vienne à opter pour le consensus, alors que c’est la pire des décisions ! Il faut au contraire faire des choix précis, ciblés, radicaux, tout en gardant une vision d’ensemble, en observant les tendances de fond, en écoutant les oppositions…
Q#9 : Un dernier mot ? Un conseil pour la fin ?
Les sujets de transformation responsable sont très inspirants et ils mobilisent beaucoup d’énergie. De mon point de vue, l’adoption du statut de société à mission permet de catalyser cette énergie, de lui donner du sens, de l’impact, de l’inscrire dans une vision plus large que l’entreprise. C’est beaucoup plus intéressant d’exercer son métier ainsi !
Hélène N’DYAYE
Yves Pizay
Partner Kea & Partners
Claire de Colombel
Directeur Kea & Partners
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