Le territoire a le vent en poupe. On en découvre toute la richesse inexploitée et il se révèle comme la seule maille possible pour résoudre la complexité dans toutes ses dimensions : économique, écologique, sociale. Thibaut Cournarie, Directeur chez Kea & Partners et Anne Risacher, Senior Partner livrent leur analyse pour Alliancy Le Mag.

Chaque région s’attache bien entendu à la bonne santé du sien, en valorisant notamment les ETI qui l’habitent, porteuses d’innovation et de croissance mais souvent méconnues. Mais c’est aussi une question de stratégie d’entreprise. Chaque entreprise en effet dépend de la vitalité de son environnement, c’est une évidence qui se résume le plus souvent en termes d’”opportunités” et de “menaces”, en tant que données d’entrée d’une stratégie. Cette approche “toutes choses égales par ailleurs” regarde l’entreprise de manière isolée et empêche de concevoir des stratégies de synergie dans lesquelles elle serait actrice de l’essor de son environnement.

Le glissement progressif des stratégies d’entreprise

Des entreprises ont déjà pris la mesure de ces enjeux systémiques en considérant leur écosystème non plus comme une donnée mais comme un facteur d’innovation et de croissance. C’est le cas de la filière aéronautique où des centaines d’entreprises collaborent étroitement autour des projets des avionneurs. C’est le cas aussi dans l’agroalimentaire et l’agriculture où les filières animales et/ou végétales s’organisent en vertical comme en horizontal.

Ces collaborations sont nées d’abord pour répondre à une nécessité de performance économique. Elles ont laissé hors de leur champ de vision deux autres dimensions fondamentales : la préservation des équilibres écologiques et le développement social. Or la performance durable des entreprises dépend autant de ces deux facteurs que de la vitalité économique de leur environnement. Les dynamiques économiques, écologiques et sociales sont si étroitement imbriquées qu’il est impossible de les modéliser à l’échelle d’entreprises mondialisées et diversifiées. Le territoire est la seule maille à laquelle il est possible d’appréhender la complexité de ces trois dimensions à la fois.

Vers une stratégie “business to territoires”

Nous définissons le territoire comme une portion géographique d’un écosystème où les acteurs qui y vivent et travaillent ont tissé entre eux, au fil du temps, des liens politiques, culturels, économiques et sociaux pour former un système qui a une cohérence et une dynamique singulières. Certains acteurs comme les banques ou les coopératives agricoles mettent en avant leur proximité avec “les territoires”. Mais du discours marketing à une stratégie “business to territoires”, il y a encore du chemin à parcourir.

Cette approche s’appuie sur deux principes qui génèrent un cercle vertueux : toute entreprise dispose d’opportunités d’investissements stratégiques dont certains peuvent contribuer au développement de son territoire ; ce développement ainsi favorisé agit rétroactivement de manière positive sur le développement durable de l’entreprise.

Une stratégie “business to territoires” consiste donc à identifier les champs de synergie favorables à un développement mutuel. Il peut s’agir de champs économiques (balance commerciale du territoire, innovation, financement d’infrastructures…), de champs sociaux (éducation, santé, insertion sociale, inclusion des minorités…) ou encore de champs écologiques (biodiversité, qualité de l’air, transition énergétique, réduction des déchets…).

Il s’avère que tous ces champs sont en réalité des communs territoriaux, ce qui signifie que leur développement ou leur préservation bénéficie à tous les acteurs d’un territoire mais qu’aucun ne peut seul en prendre la charge. Par exemple, un meilleur accès des jeunes habitants d’un territoire à l’enseignement supérieur profite aux entreprises, aux familles et aux pouvoirs publics mais aucun de ces acteurs ne peut à lui seul construire, promouvoir et assurer le succès d’une offre d’enseignement supérieur. Pour une entreprise, cela signifie qu’une stratégie “business to territoire” passe par des coopérations avec des partenaires comme avec des administrations, des concurrents ou des associations. Un exemple emblématique est celui du Lac Tissø au Danemark où 8 grands acteurs locaux dont une raffinerie, une centrale électrique et la municipalité coopèrent depuis les années 70 pour gérer de manière circulaire leurs ressources.

Les liens affinitaires de réciprocité et de connivence qui se nouent ainsi entre partenaires et avec les clients sont beaucoup plus durables que des relations transactionnelles. C’est en soi un bénéfice inestimable qui vient s’ajouter aux nouvelles opportunités de développement apportées par ces collaborations. Mais au-delà des attraits privés des stratégies territoriales, ce sont leurs impacts écologiques et sociétaux qu’il faut souligner. Elles sont un outil incontournable des transitions vers une économie souhaitable.

Fin février 2020, en quelques jours, la capitalisation boursière des entreprises de l’aéronautique commerciale a fondu de plus de moitié. Le moteur de la croissance de l’industrie française – une croissance double de celle de l’économie européenne depuis près de 10 ans – a calé.

Le secteur le plus prédictible – jusqu’à 8 ans de carnet de commandes pour les monocouloirs – est devenu irrationnellement erratique. Il entraîne dans sa chute tout un écosystème fait de grands groupes européens et de centaines d’ETI et de PME : le GIFAS (groupement des entreprises aéronautiques françaises) compte plus de 400 adhérents et le BDLI, son équivalent allemand, plus de 230. Soit près de 500 000 emplois en Europe !

Cette descente aux enfers compromet aussi des équilibres précieux : la contribution positive à la balance commerciale extérieure, la machine à innover de l’industrie de pointe (avion électrique, baisse des émissions carbone, pilotage autonome…), le dynamisme des territoires et des régions à l’origine d’ambitieux programmes concertés pour industrialiser et se construire un avenir dans les technologies…

L’échiquier a changé, les règles sont modifiées et le bouleversement s’annonce durable

Les différentes analyses prédisent un trafic passagers à fin 2020 équivalent à 70 % de celui de 2019 pour les plus optimistes, à 40 % seulement pour les plus pessimistes. Le retour au niveau de 2019 se fera attendre : 2023 peut-être, voire 2025 suivant les rebonds de la pandémie et la capacité à la contenir. Et cela sans compter les conséquences comme les changements des habitudes de déplacement.

Bien entendu, ces prévisions ne sont pas homogènes : les vols domestiques sont les plus rapides à reprendre, les long-courriers les plus tardifs. Ainsi on peut projeter un retour en vol de toute la flotte des A320 d’ici à 2022, alors qu’environ 65 % seulement des avions des familles « anciennes générations » de long-courriers retrouveront les airs à terme.

Retournons six mois en arrière : les prévisions d’activité industrielle permettaient de servir en avions neufs les opérateurs pour deux besoins : accompagner la croissance du trafic aérien passagers (+4,5 %/an mondialement), et renouveler des appareils d’ancienne génération pour de plus confortables et surtout plus économiques. 60 % de la production était destinée à la croissance, 40% au renouvellement. Les conséquences aujourd’hui sont claires : d’une part, en absence de croissance de trafic, les opérateurs n’ont pas besoin de nouveaux avions ; d’autre part, avec la chute des revenus, ils ne savent pas financer le renouvellement de leur flotte vieillissante.

Il a fallu trois décennies à cette industrie européenne pour rivaliser avec ses concurrents américains et pour contenir, par l’avance technologique, les projets émergents russes, chinois, coréens ou japonais. Il y a eu des succès et des embûches, des joies et des peines. Il nous faut conserver cette position de coleader mondial.

Avec ces perspectives dures, seule une stimulation extérieure peut faire passer le cap à notre industrie aéronautique. Les mesures annoncées par les États sont de cette nature. Elles doivent permettre de maintenir le niveau d’activité à plus de la moitié de son nominal. Ce qui est en jeu ? La poursuite des programmes de R&D ; le maintien en activité, même ralentie, de l’outil productif ; la continuité d’un flux de talents formés aux métiers ; la poursuite de l’introduction des nouvelles technologies ; la poursuite de l’expansion à l’international.

Cependant, il faut être réaliste : les entreprises du secteur sont vulnérables, elles sont restées trop petites et trop peu présentes en dehors de leurs frontière domestiques. Notre étude de 2018 basée sur 29 critères révélait que 50% des fournisseurs français et allemands étaient à risque fort d’exclusion des prochains programmes avions, voir même du secteur aéronautique plus généralement. Ces points de faiblesse étaient vrais il y a 24 mois quand tout s’annonçait pour le meilleur, ils redoublent de criticité en période de coup de frein.

De quelles natures sont les transformations à mener ? Rapprochement stratégique, recapitalisation, rationalisation, équilibre avec une activité militaire ou dans les services, pénétration à l’international accélérée… elles sont spécifiques à chacun des cas.

Ce qui est commun c’est l’esprit dans lequel mener ces transformations : elles doivent être nécessairement empreintes de responsabilité. Les dirigeants de ces entreprises ainsi que les partenaires industriels et financiers ont la lourde charge non seulement d’adapter les entreprises à la chute dramatique d’activité mais également la responsabilité de recomposer le paysage industriel et de réinventer un modèle. Un modèle européen de coalition d’entreprises partageant une vision de l’industrie, qui s’impose face aux modèles américains et asiatiques.

Pour la sixième année consécutive, LSA a recueilli les projections d’une vingtaine d’experts du retail sur les enjeux de 2021. Ils décrivent un commerce en pleine transformation. Ci-dessous le point de vue de Christophe Burtin.

La Covid 19 a accéléré et révélé le besoin croissant de sens du citoyen consommateur. Au-delà de redéfinir sa raison d’être, le commerçant doit réinventer les raisons d’y venir. Bâtir un magasin à impacts positifs et démontrer la réalité de ses impacts va devenir clé. La transparence sera exigée pour pouvoir continuer à exercer.

La prospective nous éclaire sur les défis à relever. La question est de savoir passer les différents chocs qui vont s’inviter de manière imprévue. Les risques vont devenir incertitudes. Par exemple, notre système est très dépendant d’un pétrole pas cher et les marchandises comme les clients sont sur les routes avec des distances parcourues pas toujours raisonnables. Les équipes du Shift Project nous annoncent d’ici 10 ans un pétrole moins disponible pour l’Europe et des alternatives très peu crédibles en dépit des annonces des pouvoirs publiques. Les matières premières vont manquer. À l’amont, les intrants agricoles, les sols vivants, les métaux, et mêmes les agriculteurs dont le nombre ne cesse de s’éroder.

Les règles qui ont fondées jusque-là les modèles de business de la grande consommation vont s’affaiblir. La massification, la taille, la spécialisation des acteurs, érigées en dogme vont être de moins en moins gagnants.

Le territoire, la zone de vie, vont être les unités dans lesquels il faudra construire de nouveaux écosystèmes en économie circulaire. Ainsi des réseaux locaux d’acteurs interdépendants vont émerger, redistribuant la valeur, et s’éloignant de l’unique discussion annuelle sur le prix du produit. L’hybridation va être la norme. Le magasin va devenir une plateforme phygitale, hub de produits et de services. L’hypermarché, symbole de l’hyperconsommation, va changer de vocation et se reconstruire différemment dans chacune des zones. Il va multiplier les ateliers de production et ainsi produire du local et des recettes “d’ici”. Des fermes très technologiques à capitaux locaux par exemple en captant l’épargne des citoyens vont devenir des unités de productions pas seulement d’aliments mais aussi d’énergie. L’autonomie de chaque entité dans un cadre territorial sera un critère de pérennité : protéique, énergétique, eau, biodiversité. D’ailleurs, beaucoup d’actifs clés vont devenir des biens communs, gérés comme tels. La propriété de ces biens sera nécessairement gérée au niveau de ces territoires. Le terme même de territoire devra d’ailleurs être revisité. Les villes de taille moyenne, avec des dynamiques renforcées, pourraient devenir des nœuds importants de ces nouveaux territoires, en interdépendance avec le monde rural qui les entourent.

Le mot filière, tant mis en avant, mérite d’être renourri. Il faudra conjuguer impacts RSE, accessibilité prix de la ration alimentaire et viabilité économique. Impact positif signifie mesures, partage, arbitrages avec des règles de gouvernance à inventer.

A date, personne n’a le corrigé et plusieurs acteurs tâtonnent, testent, innovent et entreprennent. Ici une micro laiterie, là-bas une ferme verticale sur un entrepôt. Qui va gagner ? Pas ceux qui multiplient les incantations sur des engagements sur “For Good” ou ceux qui pensent pouvoir tel des héros changer le monde tout seul. Les marques mondiales, les grands acteurs centralisés ? Ou les ETI/PME, les indépendants, les coopératives agricoles ?

Il ne s’agit pas de penser mais d’agir et d’inventer de nouvelles méthodes du comment. Inspirons-nous d’autres contrées comme la Corée du Sud ou plus proche l’Espagne. Utilisons les vertus du mode agile. Combinons, coopérons même avec ses concurrents. Le co-développement, l’ouverture aux autres, l’entraide doivent être des principes d’action, et être dans les visions et les plans stratégiques.

Pour cela, les acteurs qui œuvrent au service du système actuel doivent se mobiliser pour inventer de nouvelles méthodes combinant les différents métiers du conseil : stratégie, management, finance, juridique, audit, communication, certification… Des initiatives de la profession se mettent en place : Openagrifood, La Note Globale, Numalim, souvent encore très nationales. Des coalitions d’acteurs sur un territoire devraient s’emparer d’une cause et construire des solutions opérationnelles viables qu’ils pourraient mettre au pot commun. À suivre…

Tribune parue dans LSA en janvier 2021. Retrouver l’intégralité du dossier [Experts 2021] ICI

L’agilité, on en parle beaucoup mais qu’en est-il vraiment au sein des compagnies d’assurance ?

Les consultants de The Transformation Alliance, notre réseau international, ont mené l’enquête auprès de dirigeants de compagnies d’assurance de premier plan en Europe. La publication « Agile transformation in the European insurance sector » en fait la synthèse et donne des informations intéressantes pour les dirigeants :

1. Comment l’agilité se développe dans les organisations aujourd’hui ;

2. Quels sont les bénéfices que les entreprises en tirent concrètement, notamment face à l’incertitude suscitée par la pandémie ;

3. Quels sont les prérequis pour basculer dans un modèle opérationnel agile.

Les constats de l’étude en bref

Des marchés de plus en plus compétitifs, des contextes, des clients toujours plus exigeants et une technologie en évolution rapide : les entreprises sont sous pression. La Covid-19 nous plongeant dans une situation inédite a accentué l’incertitude face à l’avenir et provoqué, hélas, des faillites d’entreprises. Cela met un coup de projecteur sur les méthodes de travail agiles qui, entre autres avantages, développent la capacité de s’adapter plus facilement à des circonstances changeantes, qu’elles soient d’origine humaine ou naturelle. Notre étude s’est concentrée sur les méthodes de travail agiles à l’œuvre en Europe dans le secteur de l’assurance. Plusieurs dirigeants de grandes compagnies en Allemagne, France, Italie, Suède et Royaume-Uni ont été interviewés par des consultants de notre réseau The Transformation Alliance ; ils ont aimablement partagé leurs réflexions et leurs expériences de transformation vers l’agile. Au-delà des avantages en matière d’organisation, nous avons échangé aussi avec eux sur les effets de l’agilité sur la stratégie, la culture, la technologie et les méthodes de travail de l’entreprise. Des informations précieuses ont ainsi été recueillies sur la façon dont la théorie de l’agile se traduit dans la réalité. Tous les dirigeants s’accordent sur un point : transformer ainsi l’entreprise est un défi qui mérite d’être relevé. Cependant, ce n’est pas un voyage à entreprendre seul, comme l’ont souligné certains d’entre eux. L’accompagnement par des consultants facilite le processus et le passage à des méthodes de travail agiles. C’est pour cette raison que notre étude présente les éléments d’approche partagés au sein de The Transformation Alliance.

Introduction : soyez agile maintenant ou assumez en les conséquences…

Cette étude paraît alors que nous traversons – du fait de la pandémie de Covid-19 – ce qui semble la pire crise mondiale depuis la Grande Dépression. Cette crise a causé des dommages économiques et sociaux importants avec la récession dans certains pays. L’impact dévastateur de la pandémie sur le monde a naturellement incité beaucoup d’entre nous à repenser notre façon de vivre et de travailler, mais alors que nous essayons de faire face aux restrictions quotidiennes de notre mode de vie, il est facile d’oublier que la crise actuelle, bien qu’extrême, est loin d’être exceptionnelle. L’aggravation des conditions environnementales, les catastrophes naturelles, les troubles politiques et les conflits internationaux ont tous fait des ravages dans le monde de mémoire d’homme. Cela nous amène à nous poser une question essentielle : quel est le signal qui doit déclencher le changement de notre façon de vivre, quand et comment faire évoluer les modèles de fonctionnement de nos entreprises et organisations afin qu’elles soient mieux équipées pour s’adapter aux crises futures ? Nous pensons que l’agilité est une réponse. Ce n’est qu’au cours des dernières années qu’un grand nombre d’entreprises ont commencé des parcours de transformation en ce sens et compris à quel point ce sujet serait d’importance pour l’avenir. Même avant que la crise actuelle n’accélère le mouvement vers l’agilité, certains experts estimaient que le modèle opérationnel agile était particulièrement pertinent pour les services bancaires et financiers – la digitalisation ayant déjà changé la donne et obligé les dirigeants du secteur à réviser leurs priorités en matière d’organisation et de processus d’exploitation. En outre, les banques et autres institutions financières sont devenues extrêmement complexes et fonctionnellement cloisonnées au cours des dernières années. L’agilité est donc perçue comme un moyen de simplifier les processus organisationnels et de susciter plus de responsabilité au niveau de la première ligne de management. Il est temps aujourd’hui d’arrêter de tergiverser sur la pertinence de l’agile pour se lancer maintenant dans une telle transformation… ou d’assumer les conséquences à ne pas le faire.

Les organisations en capacité de réagir le plus rapidement à une situation, avec innovation, proactivité et énergie, et de changer de direction en cas de besoin l’emporteront à l’avenir sur les organisations plus traditionnelles.

Directeur de l’organisation au sein d’une compagnie d’assurance (Royaume-Uni)

Au sommaire

What is agile?

1.1 Agility from the perspective of the insurance sector interviewees

1.2 The new normal – adapting to disruption

1.3 The benefits of being agile

1.4 Is agile the right approach for all organizations?

The agile playing field

2.1 The old strategy design is dead, long live the new one

2.2 Culture, Mindset, Behavior & Structure

2.3 Processes: from sequential to iterative

2.4 Technology, Tools and Methods

Agile implementation: a worthwhile journey

3.1 Agile prerequisites

3.2 Agile implementation via the five key cycles of value

3.3 Final thoughts

Simone Luibl, Partner, et Ferdinand Härtl, H&Z ; Lise Tormod & Erik Martin, Cordial avec pour Kéa, Jérôme Julia et Claire de Colombel

La pandémie prendra fin : c’est sûr. Mais l’organisation du travail dans les entreprises est sans doute transformée à jamais. Travailler sans se rencontrer physiquement pendant une si longue période aura des conséquences sur les systèmes, les cultures, mais aussi les structures d’entreprise.

Au nom de la continuité des activités de nos entreprises, nous avons développé de nouvelles manières de travailler. Force est de constater que la perturbation a provoqué un changement de mentalité massif, aidant à surmonter les obstacles typiques des hiérarchies traditionnelles qui reposent sur des chaînes de commandement et de contrôle. Mais que vaut-il « d’institutionnaliser » ce changement, une fois la pandémie passée ? Quels éléments du modèle de fonctionnement devront être adaptés ? Quelles seront les répercussions sur le style de leadership ? Et comment envisagerons-nous les coûts de l’espace de bureau et de l’immobilier à l’avenir ?

Un chemin sans retour

Par smart working, nous nous référons non seulement au travail à distance, mais aussi à un nouveau paradigme, un nouvel accord passé entre l’institution et le corps social, basé sur la liberté de choix concernant le lieu et l’heure du travail, la confiance mutuelle, une responsabilisation accrue et les nouvelles technologies. Cette nouvelle conception du travail crante une étape dans le développement des organisations, comme le font des roues dentées quand elles empêchent les systèmes de faire marche arrière.

Avant l’explosion de la pandémie, cela était réservé à des profils très mobiles (comme les consultants ou les vendeurs) ou principalement considéré comme un avantage offert à quelques « happy few », un levier d’engagement enrichissant la proposition de valeur d’une entreprise pour ses employés. Un petit nombre d’entreprises avaient imposé le smart working comme moyen d’améliorer l’efficacité en réduisant les coûts immobiliers. Cependant, ces exemples étaient marginaux plutôt que traditionnels et les travailleurs bénéficiant de cet avantage étaient regardés avec un mélange d’envie et de suspicion : travaillent-ils vraiment ou jouent-ils à cache-cache avec les processus de contrôle des entreprises ?

Le respect des règles imposées par le Covid cette année passée nous a obligés à transformer radicalement le travail. L’Université Politecnico de Milan estime que le nombre de travailleurs à distance en Italie est passé de 0,57 million en 2019 à 6,58 millions en 2020, ce qui représente près d’un emploi sur trois. Le fait qu’ils aient été contraints de travailler à distance nous empêche d’appeler cela smart working. Néanmoins, l’ampleur et la soudaineté du phénomène ont eu pour effet une « mise à jour du système », qu’il ne sera ni simple ni judicieux de tenter de renverser, même si théoriquement possible. « L’urgence nous a donné une leçon importante et nous ne pourrons pas revenir en arrière », nous dit un cadre italien.

D’après notre expérience, la généralisation du smart working nécessite d’adapter un certain nombre d’éléments structurels. Nous les regroupons en 4 domaines :

  1. Reconception des organisations
  2. Management
  3. Facteurs de développement
  4. Systèmes RH

Nous avons mené l’enquête en Europe, en étudiant la réalité d’entreprise qui ont décidé d’exploiter tout le potentiel de ce changement et en interviewant des managers et des dirigeants. Cette étude, réalisée sous la houlette de MBS Consulting, notre partenaire italien au sein de The Transformation Alliance, rend compte de ce travail d’investigation. De nombreux managers et dirigeants nous ont généreusement fait part de leurs réflexions et choix dans ces quatre domaines. A lire pour comparaison avec vos pratiques et inspiration.

Contributeurs : Gian Luigi Gregotti Borasio, MBS Consulting ; Jennifer Gramolt, Partner & Charlie Waterkeyn, Q5 ;

Un article de Joaquim Pinheiro, Partner Kéa

La révolution des modèles opérationnels est en marche

Les assureurs courent aujourd’hui un grand risque : celui de voir leurs parts de marché grignotées par des acteurs focalisés sur le service, segment d’activité par segment d’activité. La révolution des modèles opérationnels doit être à l’agenda de leurs dirigeants.

En effet, leur métier consiste essentiellement à dédommager financièrement leurs assurés et très peu à les aider à retrouver l’usage du bien sinistré, à son état nominal. Ce faisant, ils ouvrent la porte à nombre d’acteurs à même de répondre à ce besoin d’usage, souvent impérieux, voire vital.

La nécessité de se transformer vers une activité de service touche d’autres secteurs. Ainsi, les constructeurs automobiles tendent à vendre plus des kilomètres parcourus que des véhicules – Le gros de leurs ventes étant désormais réalisé grâce aux flottes d’entreprises et non plus par les particuliers. Ainsi, un fabricant de perceuses devrait vendre plus des trous que du matériel !

C’est un changement de prisme considérable. Cela demande aux assureurs de réviser les fondements de leur métier et d’inventer de nouveaux modèles économiques. C’est passer d’une logique purement technique et financière – éloignée des objets : voiture, habitat, bureaux, entrepôts… – à une logique basée sur l’utilité pour le client. C’est devenir un orchestrateur de services à combiner selon les types d’aléas. La révolution culturelle est d’importance.

Si les compagnies d’assurance ont évidemment conscience de la nécessité de mener cette révolution, elles pensent en avoir le temps. Or il est urgent de se mettre en chemin. En effet, la valeur d’usage devenant première, force est de constater que les assureurs ne sont pas les mieux placés pour répondre aux besoins de leurs clients. Par exemple, les acteurs de la télésurveillance peuvent apporter la solution d’assurance la plus adaptée ; ils sont présents dans la maison, ils la protègent ! Et ils accumulent les données pertinentes pour ajuster leur offre.

Il est donc urgent que les compagnies allouent des ressources à l’innovation, aujourd’hui le parent pauvre de leurs investissements ; en la matière, elles sont au bas des classements d’entreprises [1].

Un laboratoire d’innovation paraît le moyen idéal pour avancer. Cela suppose d’y dédier une équipe qui soit dégagée de la contrainte des processus internes de l’entreprise et que l’expérimentation soit encouragée, en acceptant le test & learn, en donnant le droit à l’erreur. Pour être créatif et performant, ce laboratoire doit pouvoir s’appuyer sur dispositif de veille et de projection [Comment la valeur d’usage se matérialise-t-elle pour le client, par type de sinistre ? Quelles sont les voies de développement les plus probables ?]. Il doit aussi s’entourer d’un écosystème de partenaires ouverts sur des activités aussi différentes que la recherche médicale (apporter la valeur d’usage d’une jambe par un exosquelette, par exemple) ou la construction électrique (nombre d’incendies sont liés à une défaillance électrique).

Ce laboratoire est au cœur du changement de culture de l’entreprise. Il permet d’imaginer d’autres manières d’exercer le métier d’assureur, d’inventer de nouveaux modèles économiques. Et peu importe que l’objectif change en cours de route : le chemin est plus important que l’objectif !

La data science est à organiser également sous le prisme de la valeur d’usage, au service d’une tarification flexible et évolutive, inscrite dans le service apporté au client : analyser le passé pour tarifer le futur mais aussi se projeter dans le futur et ses aléas. Cette tarification nouvelle génération ne se base plus seulement sur la perte financière à date pour l’assuré mais aussi sur l’estimation de sa valeur d’usage. Elle n’est possible qu’à la condition de réaliser des économies d’échelle : favoriser les sinistres importants en volume, négocier les partenariats nécessaires à l’orchestration de services.

Assureurs, prenez les devants. Ne vous laissez pas grignoter par de nouveaux entrants plus forts sur le service et l’orientation-client. Des acteurs ont aujourd’hui la capacité d’apporter les services propres à redonner la valeur d’usage attendue par un assuré. Qui mieux qu’un constructeur automobile peut lui mettre à disposition un véhicule ? Qui mieux qu’une entreprise de télésurveillance peut protéger son habitation ?

En devenant orchestrateurs de services, les compagnies d’assurance ont de belles perspectives devant elles. À condition d’analyser et anticiper les mouvements de marché à l’œuvre et d’entamer résolument leur révolution économique et culturelle.

[1] Most Innovative Companies 2021, BCG, Avril 2021

La France, première et régulièrement dans le trio de tête des nations qui ont le « soft power » le plus développé ! Une bonne surprise venant des Etats-Unis [1] souvent critique vis-à-vis du coq gaulois.

Qu’est-ce que le soft power : c’est la capacité à influencer et à orienter les relations avec son écosystème, en sa faveur et par un ensemble de moyens autres que coercitifs ; pour un Etat, c’est exercer un rôle plus important que sa seule puissance numérique ou économique, et pour une entreprise, c’est exploiter des avantages compétitifs et différenciants, au-delà de ceux permis par sa seule part de marché.

Rentrons dans le détail des 6 critères de ce palmarès et au passage et mesurons au passage la grande proximité entre forces d’un Etat et d’une Entreprise :

Nos places d’excellence (parmi plus de 30 pays !)

1. La culture, numéro 1 à 3 selon les années, avec la capacité unique à créer, à porter une vision, dans certain cas à aller à rebours des règles admises (« utopisme éclairé »), à exploiter l’extraordinaire patrimoine français. La culture doit être aussi à l’agenda du dirigeant, une bonne nouvelle mais objet pas facile à manipuler !

2. L’engagement, numéro 1 depuis 5 ans, ou la capacité à entrainer les autres au minimum dans un débat et souvent dans des accords positifs pour tous (planète, clients, citoyens, collaborateurs…). La France avec son réseau diplomatique, culturel, scientifique international parmi les plus expérimentés au monde, a cette qualité et capacité à agir, reconnues par les anglo-saxons, comme en témoigne la COP 21. Dans le registre de l’entreprise, la RSE offre un champ d’expression et de différenciation extraordinaire parmi les autres nations : osons la loi Pacte et l’Entreprise A Mission !

Nos faiblesses fatales (jamais avant la 15e place et plus)

3. La gouvernance, à savoir les règles et dispositifs pour faciliter la prise de décision et l’adhésion collective : nous sommes très mauvais, pire que le critère compétitivité, avec peu de volonté de bouger au niveau des politiques… comme des citoyens, repoussant sans cesse mais attirés par le côté « roi soleil » ; c’est pourtant le sujet majeur de performance d’une organisation collective; en entreprise aussi, comme le révèlent les crises dans certains grands Groupes, mais aussi dans les Coopératives et Mutuelles!

4. La compétitivité, à savoir l’avantage coût et surtout hors coût, permettant de créer l’environnement le plus favorable pour la croissance et la différenciation : pas de surprise sur ce critère, nous sommes mauvais, avec un paradoxe vrai au niveau macro-économique comme au niveau de l’entreprise : excellent au niveau de la productivité individuelle, pouvant mieux faire au niveau de la productivité collective et organisationnelle.

L’entre deux (on a des chances d’être dans le top 10 si on se motive !)

5. L’éducation, autrefois trésor national, en dégradation rapide tant au niveau de l’école, des universités et même des grandes écoles, qu’au sein de l’entreprise où l’on se retrouve contraint de licencier faute d’anticiper les mutations. La France est le pays où l’on forme le moins les personnes en activité…

6. Le digital, ce nouveau critère du classement, autrefois limité au concept de l’informa(tisa)tion, ne se révèle pas si mal. On aime et on soigne bien les jeunes pousses dans la start-up nation. Mais, comme en entreprise, on ne sait pas faire le passage à l’échelle… C’est dommage, il y a des solutions et une marge de progression accessible.

Bref, la voie est tracée, développons ces actifs le plus souvent immatériels [2], faisons de ces 6 critères, notre tableau de bord extra-financier pour la nation et aussi en Entreprise, cultivons et soyons fiers de nos forces, attaquons-nous vraiment à nos faiblesses !

[1] Soft power 30, publié chaque année par l’agence d’influence américaine Portland et le Center for Public Democracy (University Southern California)

[2] Les immatériels actifs, nouveau modèle de croissance, Hervé Baculard et Jérôme Julia

Auteurs : Christine Durroux, Partner Kéa et François-Régis de Guenyveau, Directeur R&D du pôle impact et transformation responsable

Dans notre monde où le changement est devenu la norme et les écosystèmes sont chaque jour plus exigeants, les dirigeants doivent à la fois gérer le quotidien, faire bouger les lignes, progresser, anticiper et poser le futur de leur entreprise. Et pour bâtir des modèles adaptés aux réalités du 21ème siècle, il s’agit de penser autrement les façons de transformer et d’ouvrir une nouvelle voie pour inventer les modèles économiques de demain.

En écho à nos engagements d’Entreprise à Mission, nous avons développé neufs champs d’action pour éclairer les chemins de responsabilité possibles. Fruit de notre travail de recherche et d’innovation, c’est une boussole qui permet aux dirigeants de choisir leurs combats et de concrétiser la raison d’être et la responsabilité de leur entreprise en 9 champs d’action.

Ce position paper a pour but d’éclairer ce que nous entendons par le champ « Modèles de croissance & innovation durables ».

Alors que la responsabilité d’entreprise est encore trop souvent perçue comme antinomique d’une entreprise en croissance, comment réconcilier profitabilité & durabilité ? Les expérimentations afin de résoudre cette forme d’injonction paradoxale sont de plus en plus nombreuses, les solutions multiples, avec d’ores et déjà des exemples de réussite emblématiques. Des pistes & des modèles de croissance durable se dégagent aujourd’hui, Kéa en dresse la cartographie.

Au sommaire :

  • Quelles dynamiques de long-terme remettent-elles en cause les 3 modèles de croissance dominants des dernières décennies ? Quels sont les 7 modèles de croissance durable aujourd’hui à l’œuvre ?
  • Quelles différences entre entreprises « impact-natives » et celles dites « legacy » » ? Quelles sont les 4 stratégies d’intégration par les entreprises traditionnelles pour intégrer la responsabilité (sociale, environnementale, gouvernance) au cœur de leurs modèles ? Y va-t-il de leur survie ?

Les modèles de croissance les plus performants de ces trente dernières années ont été caractérisés par 3 ingrédients clés, pour la plupart au mépris de la nature : praticité et plateformisation par le digital (Amazon, Uber), recentrage fort sur le cœur de métier avec variabilisation extrême des coûts et donc surabondance de l’offre, alimentant la surconsommation (Ryanair, Zara), chaînes de valeur mondialisées avec spécialisations régionales (McDonald’s, Boeing). Or, cette « matrice gagnante » est sérieusement remise en cause…

Avant 2020, le télétravail restait une pratique très limitée dans la plupart des entreprises. Il faisait l’objet de nombreux préjugés que l’expérience, forcée par la crise sanitaire, aura en partie permis de lever. Une page se tourne…

Cette publication de la Chaire FIT2 Mines ParisTech à laquelle Kéa contribue pose la question du travail à distance au-delà de l’épisode pandémique, de ses effets et de ce qu’il nous enseigne.

Le ministère de l’Économie française définit le télétravail comme “une forme d’organisation du travail dans laquelle un travail est effectué par un salarié hors des locaux de l’entreprise de façon volontaire, en utilisant les technologies de l’information et de la communication”. Mais le terme “télétravail” ne rend pas compte de la multiplicité des formes de son exercice, c’est pourquoi le terme “travail à distance” est privilégié dans cette étude.

Fondé sur des auditions d’experts (sociologues, ergonomes, DRH, managers, aménageurs) et sur des centaines d’enquêtes et études académiques, l’ouvrage fournit des points de repère et de vigilance à toutes les entités qui doivent repenser l’organisation du travail : management, espaces, temps du travail, outils numériques, communication… Il dessine le futur du travail à la lumière d’une situation de crise inédite.

Au passage, l’ouvrage met au jour des débats qui ne sont pas encore tranchés, comme l’épineuse question de l’éligibilité au télétravail et des inégalités qui en résultent. Ou encore, la productivité qu’il permet, sa compatibilité avec la QVT, son impact sur le lien social, la confiance, la collaboration, l’innovation et la créativité… C’est bien un travail hybride – sur site et à distance – qu’il s’agit dès aujourd’hui de préparer.

Cet ouvrage intéressera les entreprises confrontées à ces transformations organisationnelles et managériales. Et plus particulièrement les directions des ressources humaines, immobilières, et de la transformation numérique, les syndicalistes et représentants du personnel, les consultants, mais aussi tous les managers quotidiennement en prise avec ces dé­fis. Parcourir via SlideShare.

Cette tribune a été rédigée et signée par un collectif de consultants de Kéa, dont Miguel Cano, Mathilde Couzineau, Thomas Genevray, Victoire Isoré, Anna Laure, Chloé Lenormand, Charline Seligmann, Julie Thomé

En mars 2020, en passant « société à mission » au sens de la Loi Pacte, Kea & Partners est devenu le 1er cabinet de conseil européen à inscrire sa raison d’être dans ses statuts. Un an plus tard, le cabinet a récidivé avec le label B Corp, rejoignant ainsi la communauté des quelque cent entreprises françaises pionnières en matière de responsabilité. Dans cette tribune, les jeunes consultants du cabinet prennent la parole sur les implications que ce choix peut avoir sur leur métier. Et en profitent pour partager leur vision de la responsabilité en entreprise.

En 2018, 30 000 étudiants de grandes écoles exprimaient dans un « Manifeste pour un réveil écologique » leur volonté de ne travailler que pour des entreprises qu’ils jugeaient « responsables ». Depuis plusieurs années, les enjeux climatiques et la responsabilité sociale des entreprises prennent une importance grandissante pour les jeunes générations et transforment le marché du travail en profondeur, et semblent résonner encore plus fortement chez les jeunes générations. C’est cette orientation vers la responsabilité qu’a souhaité concrétiser Kea, en devenant “Entreprise à Mission” début 2020 et “B Corp” début 2021.

En tant que jeunes consultants, nous approuvons ce choix. C’est un engagement audacieux vis-à-vis de la société et cela renforce le positionnement historique du cabinet. Mais plus encore, cela nous pousse à nous interroger : que signifie pour nous être « responsables » ? Et comment pouvons-nous faire de notre métier de conseil en stratégie un instrument en faveur de la transformation de l’économie ?

Une recherche de sens et d’impact

Nous sommes nés dans les années 1990 et avons grandi dans un contexte de remise en cause du mythe de la croissance infinie et de prise de conscience accrue des enjeux climatiques et sociétaux. La quête de sens et d’impact a toujours été pour nous une préoccupation majeure. Décidés à fuir ce que David Graeber appelait les « bullshit jobs »*, nous cherchons résolument à incarner dans notre travail ce qui nous anime dans notre vie personnelle. Idéalistes, mais confrontés à la complexité du réel, nous cherchons à tout prix à éviter la dissonance cognitive que provoquerait un emploi en totale contradiction avec nos croyances. Si nos sensibilités écologiques et nos niveaux d’engagement sont loin d’être homogènes, nous partageons tous l’ambition de faire de notre métier un outil de transformation de l’économie.

Une nouvelle vision de la responsabilité

Pour nous, la responsabilité des entreprises ne se réduit ni à des actions philanthropiques, ni à un ensemble de contraintes figées. C’est au contraire une dynamique bordée par deux sentiers - le questionnement et l’action – qui doit être au cœur de tout exercice de stratégie. Est donc responsable une entreprise qui, par son activité économique, contribue efficacement à l’équilibre de la société, tout en ne cessant de se questionner sur la cohérence et le bien-fondé de ses engagements.

Cette responsabilité doit bien sûr s’incarner concrètement à l’échelle individuelle, mais elle vaut aussi pour les composantes clés de l’entreprise : ses modes de gouvernance, sa mesure de la performance, sa chaîne de production, son modèle économique, son style managérial ou encore la culture qu’elle véhicule. C’est en ce sens que le métier de conseil en stratégie peut être considéré comme un instrument majeur de de transformation de la société. En nous permettant de nous adresser directement aux décideurs de grandes entreprises, nous avons en effet l’occasion d’avoir un impact réel sur le monde.

Connaissance, action, savoir-faire

Il existe selon nous trois « principes responsables » susceptibles de changer en profondeur l’activité des entreprises, et par là-même notre pratique du conseil auprès des directions générales.

D’abord, la connaissance – qui ne va pas sans humilité. Pour juger de sa « bonne » contribution à la société, encore faut-il la connaître et prendre conscience des tensions qui la traversent. Or cela est d’autant plus difficile que dans notre monde imbriqué et systémique, la complexité ne cesse de croître, et avec elle la tentation de tout simplifier (en témoignent les réseaux sociaux avec lesquels nous avons grandi et où prolifèrent notamment « fake news » et théories du complot). Si nous voulons comprendre les mutations du monde sans céder à la tentation du jugement hâtif, nous devons donc faire l’effort de nous ouvrir à différents champs de savoir. Concrètement, aller au-delà de l’expertise économique et financière (car celle-ci se montre insuffisante pour cerner les tenants et aboutissants du marché) et se référer aussi aux climatologues, aux ingénieurs, aux sociologues, aux anthropologues… C’est par l’orchestration et la synthèse de toutes ces expertises que nous pourrons élaborer des recommandations englobant les enjeux économiques, sociaux et environnementaux.

Le deuxième principe responsable est le pragmatisme, qu’on pourrait reformuler selon le principe « priorité à l’action ». Bien sûr, la transformation des entreprises ne saurait se passer d’une vision stratégique d’ensemble allant de la raison d’être à la chaîne de production. Mais l’approche « par petits pas » ne doit pas être dédaignée. En parallèle des réflexions structurelles, il est crucial de lancer des initiatives concrètes et à taille humaine. Pour de nombreuses entreprises, ces actions n’auront qu’un impact mineur, et ne suffiront pas à « changer le monde ». Mais elles permettront de crédibiliser les engagements affichés et de lancer une dynamique vertueuse : règles de représentativité des salariés aux instances de pouvoir, modalités d’évaluation au-delà des seuls critères commerciaux, inclusion et diversité des collaborateurs dès le recrutement, mais aussi économies d’énergie des bâtiments occupés, nouvelles politiques de consommation et de tri, solutions de transport bas-carbone des salariés, limitation des trajets en avion… Des initiatives valables pour les cabinets de conseil, bien sûr, mais surtout pour leurs clients, dont les effets d’échelle sont bien plus importants.

Enfin, l’art et la manière. S’il existe un consensus de plus en plus clair sur ce qu’est la responsabilité et à quels enjeux elle renvoie (le quoi), beaucoup plus rares en revanche sont les études indiquant comment se mettre en route. Pourtant, la transformation dont nous parlons concerne autant la finalité des entreprises (agir pour la responsabilité) que les conditions du changement (agir en responsabilité). Une responsabilité à marche forcée est-elle vraiment responsable ? Un nouveau modèle économique sans débat, sans concertation préalable est-il souhaitable ? Nous vivons une époque d’impatience et de radicalité. Nous sommes rompus aux indignations radicales et au « tout, tout de suite ». Pourtant, comme le rappelle très bien Michel Aglietta à propos de la pensée de François Jullien, « tout est dans la durée et l’ambiguïté »**.

Voilà peut-être précisément le premier grand défi à relever si nous voulons transformer l’économie : réapprendre à composer avec la nuance et le temps long.

*David Graeber, Bullshit jobs, Les Liens qui Libèrent, 2018

** Michel Aglietta et contributeurs, Capitalisme, le temps des ruptures, Odile Jacob, 2019

Plus de 3 milliards, c’est le montant avancé le 2 avril 2020 par la Présidente de la FFA, Florence Lustman, pour donner la mesure de l’effort des assureurs en cette période de crise. Un chiffre qui date déjà, compte tenu des nouvelles annonces des assureurs.

Mais, ni les montants mis en jeu, ni l’ampleur des pertes prudentielles, ni les explications – trop techniques ? – des assureurs n’y changent rien : les Français ont le sentiment que ces derniers ne sont pas au rendez-vous. L’attention publique est aujourd’hui sur les pertes d’exploitation. Les parlementaires ont les assureurs dans leur ligne de mire. Et demain, quelle sera la perception des épargnants sur leur prise de risque pour les soutenir ? Dans son allocution du 13 avril dernier, Le Président de la République a mis sur un pied d’égalité banques et assurances : « … les assurances doivent être au rendez-vous de cette mobilisation économique. J’y serai attentif ». Aurait-il lui aussi un doute sur leur niveau d’engagement dans le futur ?

Nous n’avons nullement l’intention ici d’alimenter l’image d’Epinal de « l’assureur voleur » ou la polémique sur l’un des fonds mutualistes solidaires lancé par un bancassureur. Nous savons tous les efforts que les assureurs déploient en temps de crise, mais aussi en cas d’événement climatique local ou au quotidien dans le retour à la normale des sinistres individuels.

Au contraire, soulignons leur engagement invisible, imperceptible, tant sur le service aux assurés que dans la gestion de la résistance aux crises systémiques. Les efforts réels pour s’adapter aux normes européennes de Solvabilité 2 démontrent encore plus aujourd’hui qu’ils n’ont pas été vains, que leur utilité est réelle pour protéger le bien commun de notre société et de nos modes de vie.

Il est désormais temps de porter, au-delà du Risque, une attention stratégique au Client en mettant en lumière l’utilité et l’engagement sociétal des assureurs.

L’engagement ou la nouvelle préférence des consommateurs

Les études Brand’Gagement et Baromètre des Français menées par le groupe Kéa soulignent que l’engagement des entreprises est devenu un marqueur de l’acte d’achat : tous secteurs confondus, 84% des consommateurs l’affirmaient en 2020 ; 64 % en 2017. Autre élément : les Français estiment que 77% des marques actuelles pourraient même disparaître sans que personne ne le remarque. Une tendance de fond donc, en résonance avec l’Entreprise à Mission, amplifiée par le Covid. Les clients attendent que les entreprises aillent au-delà de la création de valeur économique, par une contribution active à l’amélioration de nos sociétés.

En dix ans, la donne a considérablement changé : le client a aujourd’hui des moyens simples d’exercer son choix, de manifester sa préférence pour l’engagement. Il suffirait d’un Yuka de l’Assurance pour pleinement rebattre les cartes du jeu concurrentiel.

Le secteur bancaire prend le devant de la scène et cela joue en faveur de son activité d’assurance : en se positionnant en première ligne du redressement économique, en tant que banquiers, ils développent une dialectique simple et compréhensible par le grand public. Depuis quelques jours, des filiales d’assurance de groupes bancaires lancent des fonds de soutien à leurs clients professionnels. Qu’importent les coulisses ou la réalité sur le terrain, le consommateur citoyen retiendra que les banquiers auront été au rendez-vous, qu’ils font partie de la solution à la sortie de crise, qu’ils se sont investis dans la bataille. Préparons-nous à des prises de part de marché !

Assureurs, quelle est votre réponse stratégique ?

La réponse des assureurs ne peut pas être uniquement financière, elle se trouve aussi dans vos organisations. Concrètement, voici des premières pistes pour réaffirmer votre engagement, rassembler vos forces au sein du marketing client et vous inspirer pour agir.

Gardez à l’esprit en les lisant, que ce qui était impossible il y a deux mois, est aujourd’hui fait.

#01 – Réaffirmer votre Engagement

Légitimité, impact, incarnation, sens et activisme : ce sont les cinq dimensions qui se dégagent de nos recherches et expériences. Des dimensions où les moyens financiers sont des moyens, non la finalité. Chaque assureur dispose déjà d’éléments pour nourrir chacune d’entre elles. Faites l’exercice, vous le constaterez par vous-même.

Mais dans ce cas, pourquoi en parler ? Pour que vous puissiez en amplifier les effets ! Car si chaque assureur chemine dans sa contribution au bien commun, force est de constater que peu en ont fait une doctrine complète, à part entière, puissante. Il est temps de tisser des liens entre ces différentes dimensions, de dégager une trame explicite pour les clients, les prospects et les autres parties prenantes. Tel l’impressionniste, combinant habilement « dessein » et touches de couleur, évitant l’éparpillement de son génie créatif, vous pouvez faire émerger votre Engagement.

Y travailler n’est ni un changement radical, ni un simple exercice de communication :

  • Ce n’est pas un changement radical : les assureurs sont par nature au service du bien commun. Le secteur s’est développé sur le solidarisme, la mutualisation, le partage explicite des risques. Néanmoins, il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’engagement en phase avec les attentes profondes des clients.
  • Ce n’est pas de la cosmétique : nos études démontrent que les clients sanctionnent l’absence de preuves.

À chaque assureur sa voie singulière pour réaffirmer son engagement, de manière différenciante.

#02 – Rassembler vos forces au sein du Marketing Client

Qui est à même de coordonner les actions, connecter les différentes initiatives prises au sein de votre entreprise, être le bras armé du comité de direction ? De notre point de vue, le Marketing Client est le meilleur candidat, pour peu que celui-ci soit correctement outillé et positionné dans les processus de décision. Sa première mission sera bien évidemment de vous proposer une stratégie en matière d’Engagement.

Le Marketing Client n’est pas une idée nouvelle. Néanmoins, il n’a pas le positionnement idéal. Notre lecture des organisations et des processus de décision indique que le rapport de forces en interne tourne encore trop fréquemment à l’avantage des équipes actuarielles. Que serait devenue Apple si Steve jobs avait toujours écouté ses ingénieurs, aussi brillants soient-ils ?

La tension entre Risque / Marketing Produit et Client / Marketing Client est structurelle. Elle ne peut être annulée ou ignorée. Chaque assureur doit dans son organisation et ses processus de décision, trouver, entretenir un juste équilibre, en toute conscience, et développer des mécanismes de réelle coopération entre les trois entités. Si l’un devient « esclave » de l’autre, de la valeur financière sera perdue.

La profession avait anticipé ce rééquilibrage de la tension : le développement des services, le traitement « personnalisé » des sinistres, le développement d’une relation de proximité, affinitaire, avec certains segments de clients… Les solutions sont sûrement présentes au sein de vos équipes. Il « suffit » de leur donner la parole et les moyens d’amplifier, d’accélérer leur action.

Pour que votre Marketing Client vous aide à voir le monde avec les yeux du client en mode prospectif, de nouvelles « lunettes » sont à concevoir : observatoire prospectif des tendances client multisectoriel, compréhension des incitations profondes d’achat, utilisation intensive de la Data, intégration de la dimension RSE.

#03 – S’inspirer pour agir et agir en s’inspirant

Avec les deux premiers éléments, vous disposerez d’une stratégie et de moyens internes. Qu’en est-il de votre stratégie d’action ? Comment agir alors que l’incertitude de l’environnement est le seul élément certain ?

L’inspiration peut venir d’entreprises pionnières, françaises ou internationales, affichant d’excellents résultats qui confortent leur stratégie. Certaines marques du Groupe Unilever ont engagé des stratégies mondiales basées sur l’engagement, les Sustainable Living Brands. Résultats : leur croissance est 69% plus élevée sur les trois dernières années que les autres marques du Groupe. Un cercle vertueux s’est enclenché sur le long terme.

Quelques inspirations pour agir, issues de nos échanges avec des dirigeants du secteur :

  • S’engager maintenant : c’est au dirigeant, en maître des horloges, avec son comité de direction, d’appuyer sur le bouton de l’Engagement.
  • L’action prime. Le dirigeant fixe un cadre de jeu, une direction, une intention. Le reste de l’entreprise agit sur le terrain. Les actions sont ainsi mises en œuvre, en articulant court et long terme, dans ce cadre.
  • L’action doit être impactante. Cela implique une focalisation stricte de l’effort, et donc un renoncement, et une rénovation progressive des modèles opérationnels industriels. L’enjeu est d’agir comme « un Colibri à l’échelle ».
  • Dans cette course de fond, l’adhésion des parties prenantes est nécessaire. Avec une attention particulière à porter aux actionnaires, décideurs in fine. Les mutualistes disposent d’un avantage certain. Les assureurs privés peuvent se tourner vers des investisseurs engagés, comme BlackRock.
  • Les entreprises engagées amènent la puissance publique à s’impliquer. Elles font effet de levier par leur activisme, leurs organisations professionnelles ou bien encore par des évolutions réglementaires.
  • Le passage au statut d’Entreprise à Mission ou la certification B-Corp peuvent être des concrétisations de leur engagement, mais ne sont pas des points de départ.

Soyez des acteurs de premier plan du monde d’après

L’actualité pose la question du monde d’après. C’est la porte ouverte à tous les fantasmes, chacun poussant son utopie pour demain, parfois en gardant les lunettes du passé. Une chose est sure : la crise nous amène à prendre conscience de la fragilité de nos sociétés et à réfléchir à l’essentiel. Demain sera possible s’il est soutenable.

C’est pourquoi l’Engagement est une voie d’exploration pertinente. C’est une façon de revenir aux sources de l’assurance, à son utilité sociale. C’est aussi une manière habile de mettre les modèles économiques sur l’établi afin d’allier performance et contribution à l’intérêt général.

L’Engagement est une nouvelle réponse stratégique à articuler avec celles, déjà connues, de la différenciation et de la préservation des avantages concurrentiels. Plus aspirationnelle et plus en phase avec les motivations profondes de nos concitoyens. Les assureurs ont de beaux atouts en main.

L’équipe Service sous l’impulsion d’Yves Pizay, avec la contribution de Kéa Tilt

Article co-rédigé avec Hervé Lefèvre, Senior Partner

La crise que nous traversons nous interroge tous. Nous sommes en plein dans l’avenir décrit par Nassim Taleb dès 2007 (Le hasard sauvage, Antifragile, Le cygne noir), un avenir soumis à des évènements majeurs rares, extrêmement difficiles à prédire, hors des attentes normales et modifiant sensiblement la continuité de nos activités.

Dès lors, il est nécessaire pour les dirigeants de consacrer de l’énergie à travailler la résilience de leur entreprise, actif immatériel majeur qui jouera un rôle décisif dans le monde de demain. Appliqué aux entreprises, le concept mérite d’être développé et nourri pour mieux s’armer face aux crises économiques, sanitaires, cybernétiques… en perspective.

Car il ne suffit plus de traverser la crise, il faut aussi savoir la surmonter et y survivre, Hervé Lefevre et Raphaël Barral vous livrent un “programme” de développement de la capacité de résilience avant, pendant et après une crise.

  • Les 3 dimensions de la résilience
  • Les 6 caractéristiques de la résilience appliquées aux organisations
  • Les 3 moments pour cultiver la résilience
  • Les 8 processus pour développer et ancrer la capacité de résilience

Du “chaos” provoqué par la crise – et bientôt les crises -, un “nouvel ordre” peut émerger, plus inspirant pour chacun, plus responsable pour tous, avec un nouveau cap, une nouvelle raison d’être ou un renforcement du sentiment d’ancrage et d’appartenance.

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