Les assureurs connaissent le vent de panique qui souffle au sein de leur entreprise lorsque Julien Courbet les appelle pour “résoudre” une situation douloureuse avec un assuré. Une tempête qui peut devenir digitale, plus puissante et destructrice, à cause d’une évolution législative en matière de réclamations.

En effet, la réforme de la saisine de La Médiation de l’Assurance devrait augmenter significativement le volume des réclamations et engendrer un risque à la fois réputationnel et organisationnel pour les acteurs traditionnels du secteur. De plus, des start-ups se positionnent comme facilitateurs des démarches des assurés mécontents. On fait le point sur la situation, avec des pistes d’action à la clé.

Le recours au médiateur de l’assurance facilité pour une protection accrue du citoyen

Jusque récemment, le volume de réclamations traitées par le médiateur de l’assurance apparaissait bien faible au regard de celui des sinistres en France : en 2020, il a été sollicité dans 17 355 cas environ (+18 % par rapport à 2019) et plus de 70 % de ces sollicitations étaient irrecevables car prématurées [1]. Les délais de traitement se situaient entre 8 et 13 mois. Ces quelques chiffres montrent bien que la réalité de l’appel au médiateur est un épiphénomène face à la masse des sinistres indemnisés.

Mais les choses vont changer. Depuis la parution en juillet 2021 du rapport du CCSF (Comité Consultatif du Secteur Financier), la réforme de la saisine de la Médiation de l’Assurance est en cours. Ce rapport préconise que la Médiation puisse être saisie deux mois après la première expression écrite du mécontentement de l’assuré auprès de son assureur ou courtier, alors qu’historiquement un double niveau de saisine (le conseiller habituel puis le service réclamation de l’assureur) lui était imposé avant tout recours au médiateur. Il s’agit pour le CCSF, en consultation avec les associations de consommateurs, de supprimer les freins à l’appel à la médiation dans une logique de protection accrue du citoyen.

La technologie fait émerger de nouveaux « robins des bois » : hausse des réclamations en perspective !

Cette réforme d’apparence bénigne pour les assureurs survient alors que de nouveaux acteurs proposent de faciliter le traitement des relations conflictuelles entre assurés et assureurs. Couplant IA, automatisation et digitalisation du métier, ces start-ups parviennent à traiter un volume de demandes plus conséquent et plus rapidement que des acteurs traditionnels.

Lyanne [2], par exemple, se positionne comme facilitateur ou comme accompagnateur des assurés particuliers dans leurs réclamations. Concrètement, la start-up propose aux assurés mécontents de faire le point sur leur situation en faisant l’analyse objective des documents contractuels et du motif de refus de l’assureur. Elle peut ensuite prendre en charge toutes les démarches dans le cas où la réclamation s’avère légitime. A l’inverse, en cas de refus justifié, Lyanne, en tant qu’acteur tiers, parvient à apaiser l’assuré en lui apportant des réponses claires et rapides et lui permet ainsi de tourner la page.

Insurello, compagnie suédoise créée à Stockholm en 2016 et spécialisée dans les dommages corporels, est un autre exemple.

La rémunération de ces intermédiaires se fait sur le montant des indemnités perçues à l’issue de la réclamation.

Le changement législatif donne donc l’opportunité à ces nouveaux acteurs de promouvoir leur offre qui facilite la prise en charge des litiges par les technologies et donc de multiplier les dossiers qu’ils suivent. Combinés, ces deux phénomènes vont faire augmenter le volume des réclamations.

Nouvelle donne : et si le Yuka des assureurs devenait une réalité ?

Le risque lié à l’augmentation des volumes de réclamations n’est pas tant stratégique : il est surtout réputationnel.

Le véritable danger viendra de la création d’un “Yuka des assureurs”, c’est-à-dire une application apportant aux citoyens des indicateurs faciles à comprendre sur les acteurs du marché. Rendu possible et crédible par l’augmentation des volumes, il sera popularisé par les start-ups qui se serviront de cette simple application pour donner à leurs clients et prospects les informations gommant la complexité des réclamations. Comme pour l’alimentaire, cet hypothétique Yuka de l’Assurance sera dans le téléphone de l’assuré et influencera significativement l’acte de souscription et de fidélisation.

Mieux vaut prévenir que guérir : quelques pistes d’action pour les assureurs

1/ Industrialiser, voire réinventer, la filière Réclamations. Cela nécessite de structurer et d’outiller les processus de la filière et de faciliter son accès au client. Ou alors, aller un cran plus loin, en imaginant des processus « Zéro réclamation » : l’assureur se fixe alors de nouvelles règles de gestion des réclamations de niveau 1, pour éviter « à tout prix » le niveau 2.

2/ Faire appel à la data science pour l’aide à la prise de décision, par une juste évaluation du rapport gain / risque en traitement de niveau 1, traitement qui lui ne sera pas public. Cela permet une meilleure objectivation des critères pris en compte. Certaines avancées réalisées en protection juridique peuvent être réutilisées.

3/ Porter attention à la pédagogie dans la relation client. C’est un point clé et le conseiller / gestionnaire doit être irréprochable : il peut certes être aidé par nombre d’outils sur la connaissance client, mais nul ne peut remplacer la capacité d’écoute et d’échange simple avec un interlocuteur humain, capable notamment de vérifier la compréhension du client.

4/ Envisager des partenariats avec des start-ups, afin de promettre une démarche simplifiée. Parmi les premiers exemples de partenariats réalisés avec des apporteurs de solutions :

  • Solution optimisant la gestion et l’indemnisation de sinistres sur les garanties climatiques ;
  • Solution optimisant la gestion de sinistres, en évaluant de manière plus objective et industrielle le montant dû, réduisant ainsi la durée d’un processus souvent perçu comme « toujours trop long » du point de vue de l’assuré.

Les assurés disposent de nouvelles armes dans leur rapport à l’assureur. Il est donc recommandé d’investir dès à présent dans la filière Réclamations pour prendre en compte ce changement et les risques associés. La proactivité au niveau 1 de réclamation sera clé dans la gestion de la réputation des assureurs.

Les réclamations

Les chiffres clés de la médiation en 2020

  • 17 355 saisines (+18 % vs. 2019)
  • 71 % déclarées irrecevables, dont 49 % du fait de leur caractère « prématuré », i.e. l’assuré avait directement saisi La Médiation de l’Assurance avant d’avoir conduit les démarches idoines auprès de son assureur
  • 2/3 des litiges ont pour origine d’abord le refus d’indemnisation par l’assureur et ensuite la gestion de la réclamation par l’assureur

Les principaux freins exprimés par les assurés

  • 45 % ne connaissent pas les recours possibles en cas de désaccord avec leur assureur
  • Seuls 27 % ont entendu parler du médiateur de l’assurance

Les effets attendus des nouvelles recommandations de l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution)

  • Gestion des intérêts du client : cohérence entre délai de réponse et nature de la réclamation
  • Prise de conscience côté Assureurs : suivi renforcé des réclamations par les porteurs de risques
  • Facilitation de l’accès au système de réclamations : assouplissement des critères d’éligibilité (réclamations élargies aux anciens clients, prospects et ayant droits)

[1] Source LMA (La Médiation de l’Assurance)

[2] Lyanne, start-up lancée début 2021, spécialisée dans les assurances de biens (principalement) et assurances de personnes et comptant déjà près de 10 000 utilisateurs.

Un contexte propice à la scénarisation prospective

Les acteurs économiques évoluent dans des univers souvent incertains, toujours complexes et dans des référentiels de plus en plus dynamiques. A cet égard, nous évoluons actuellement dans un contexte de grands bouleversements :

  • Un premier bouleversement lié à la montée des inégalités dans les sociétés occidentales et les dérèglements du capitalisme, avec en ligne de mire le spectre d’une forme de déglobalisation et de décroissance
  • Un bouleversement lié au dérèglement climatique, avec des conséquences géopolitiques déjà à l’œuvre et un sentiment d’angoisse qui gagne nos sociétés
  • Un bouleversement anthropologique lié à la montée du numérique

La pandémie et le retour de la guerre en Europe achèvent de rendre particulièrement probants l’exercice prospective et l’anticipation de ruptures, tant les fondamentaux sur lesquels sont construits nos sociétés semblent en mouvement.

Dès lors, les entreprises expriment de plus en plus le besoin de pouvoir projeter leur activité à long voire très long terme, au-delà des classiques plans stratégiques à horizon 5 ans. Les objectifs sont de plusieurs ordres : encadrer la mise en œuvre de grands projets, sécuriser la pertinence à 20 ou 30 ans d’investissements lourds ; mais aussi appréhender les évolutions fondamentales de la société, anticiper les ruptures, et faire de son entreprise une partie prenante du changement.

7 scénarios de l’économie française en 2040

Par la méthode ‘Strategic Foresight’, Kéa et Ylios ont construit 7 scénarios de l’économie française à 2040 volontairement extrêmisés : Résilience, Défense, Sobriété, Relance industrielle, Relance servicielle, Sans Frontières, Capitalisme numérique.

Ces scénarios sont caractérisés par des degrés variés sur 2 axes majeurs : le niveau d’effort collectif en matière de lutte contre le changement climatique / l’érosion du vivant et le degré d’interventionnisme économique public.

Il ne s’agit pas d’un outil de prédiction du futur mais d’une démarche prospective et proactive consistant à envisager et qualifier un ensemble de futurs envisageables, en explorer les implications pour les acteurs économiques, les aider à mettre en place une stratégie visant à atteindre les futurs souhaitables, et renouveler les modalités selon lesquelles les fonctions de veille stratégique peuvent s’exercer.

Découvrir dans le détail les 7 scénarios :

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Mise en perspective du regard des Français et des dirigeants d’entreprise

Nous avons soumis ces scénarios aux regards croisés des Français (Sondage OpinionWay pour Kéa & Partners, échantillon de ~1 040 Français), et des dirigeants d’entreprise (une cinquantaine de dirigeants réunis le 17/05/2022).

Il en ressort un plébiscite partagé par tous des scénarios « Sobriété » et « Relance industrielle » comme scénarios les plus souhaitables à 2040. Au global, l’embellie économique + réponse écologique + confiance restaurée dans les institutions démocratiques façonnent le scénario idéal pour les Français. Pour un futur plus désirable, ils nous ont relevé deux ingrédients clés :

  • Un besoin de recentrement sur le « monde de près » (« solidarités locales », « le quotidien de mon village », …)
  • Mais aussi une gestion plus concertée des communs sous l’aiguillon de l’État (avec l’Union Européenne à ses côtés), et les entreprises attendues au même titre pour faire advenir le « souhaitable ».

Source : Sondage OpinionWay pour Kéa Partners (échantillon de +1000 Français), Sondage Kéa (échantillon d’ ~50 dirigeants)

Les regards sont également concordants sur leur probabilité de réalisation, avec la « Résilience » et la « Relance industrielle » qui ressortent comme scénarios les plus probables

Source : Sondage OpinionWay pour Kéa Partners (échantillon de +1000 Français), Sondage Kéa (échantillon d’ ~50 dirigeants)

Intervention d’Arnaud Gangloff, PDG de Kéa, sur les Scénarios prospectifs pour l’économie française en 2040 aux Entretiens de Valpré le 18 novembre 2022 :

La santé au travail serait devenue la 3ème difficulté rencontrée par les salariés en 2021 [1]. Depuis deux ans, de nombreux discours soulignent la montée des risques psychosociaux engendrée par le télétravail déployé à grande échelle pendant la pandémie [2]. Ces propos appellent des précisions. Tout d’abord, le télétravail n’affecte pas que la santé mentale, il a aussi des effets sur la santé physique. Ensuite, il est nécessaire de distinguer une pratique normale, alternée et choisie du télétravail, de celle que nous avons vécue dans l’urgence et parfois à temps plein, à l’occasion de la crise sanitaire. Une approche par la santé permet d’en analyser les principaux impacts et de souligner les points à surveiller dans la perspective d’un télétravail normalisé, dans le cadre du modèle hybride.

Elle soulève également l’épineuse question de ce qui relève de la responsabilité de l’entreprise en matière de préservation de la santé au travail et de ce qui incombe au salarié.

Kea et la Chaire FIT2 vous proposent un décryptage.

Au sommaire :

#1 Les risques psychosociaux

Surtravail et hyper-connexion

Isolement et solitude

Les catégories de salariés les plus fragilisées par le télétravail

#2 Les risques physiques

L’ergonomie des postes de travail

La sédentarité

1. Responsage, 8e baromètre sur les vulnérabilités des salariés. In Capital, 17 février 2022.

https://www.capital.fr/votre-carriere/le-lourd-impact-du-teletravail-sur-la-sante-des-salaries-1428740

2. Voir encore la toute récente enquête Empreinte humaine / Opinion Way selon laquelle 36 % des télétravailleurs seraient en burn-out contre 34 % des salariés en général.

https://www.capital.fr/votre-carriere/avec-le-teletravail-le-nombre-de-burn-out-explose-1431274

Accélérer le développement des offres de services digitaux dans l’industrie

Le monde BtoB adopte progressivement les codes du digital BtoC

La digitalisation percute les entreprises industrielles sur l’ensemble de leurs composantes, en particulier les offres de produits et services. Au-delà de l’utilisation des technologies digitales et data pour améliorer ou transformer les modèles opérationnels, l’enrichissement ou la création de nouveaux produits et services constitue un enjeu stratégique.

Le développement des services digitaux, démarré avec les « pure players » du digital et les industries BtoC, s’étend rapidement dans les marchés BtoB avec des modèles proches de ceux du BtoC : paiement à l’usage, accès via des plateformes d’agrégation, recherche d’une expérience utilisateurs singulière, …

Dans certains secteurs, c’est un sujet vital. Les fournisseurs d’équipements aéronautiques qui ne seront pas performants dans les services d’anticipation des dysfonctionnements de leurs équipements seront challengés sur les marchés attractifs de la maintenance. De même, ceux qui ne se seront pas positionnés sur les plateformes technologiques leaders rencontreront des difficultés pour accéder à ces mêmes marchés.

Tous les secteurs industriels sont en mouvement pour concevoir les solutions et les modèles d’affaires associés : aérien, ferroviaire, automobile, infrastructures, équipements, bien d’équipement, biens de consommation, construction, ….

Un défi pour lequel les industriels BtoB ne manquent pas d’atouts

S’engager dans cette voie est un défi et soulève de nombreuses interrogations légitimes : capacité à concilier les activités de l’entreprise et ces nouvelles activités, à réaliser les investissements nécessaires sans perspective marché tangible, à générer des revenus, à accéder aux compétences, … Mais les industriels disposent aussi d’atouts uniques : expertise technique produits & services, accès aux données de leurs équipements, accès aux clients, lien avec les activités de service, notoriété, …

Pour être en mesure de saisir les opportunités et être acteur de la transformation des marchés à venir, il est essentiel de se mettre en mouvement sans attendre.

Définir une ambition et un cheminement

Compte tenu des nombreuses incertitudes sur les configurations de marché, définir une stratégie de développement de services analytiques, dans la plupart des secteurs, ressemble à la navigation par temps de brouillard et sans GPS. La priorité est de rester éveillé et prêt à tout. C’est donc un défi pour les dirigeants d’analyser la dynamique (douleurs & frictions des marchés, attentes des clients, enjeux économiques, offres possibles, …) de développement du digital sur leurs marchés. Mais sur cette base, ils pourront définir une cible et un cheminement adaptés à leur entreprise, au bon niveau d’ambition, et connectés aux savoir-faire de l’entreprise. C’est essentiel pour mettre en mouvement leur entreprise.

Mettre en place un modèle opérationnel adapté

En première approche, l’entreprise dispose des ressources et compétences pour développer une activité de services digitaux de qualité, des ingénieurs compétents, des développeurs de logiciels talentueux, des commerciaux ambitieux, des départements marketing innovants, … . Dans la réalité, les compétences ne sont pas toutes présentes, les organisations ne sont pas adaptées, les méthodes de développement ne sont pas les bonnes au regard des attentes du marché. Concevoir, promouvoir, vendre, produire et livrer les services analytiques requièrent un modèle opérationnel spécifique. La mise en place d’entités dédiées n’est pas nécessaire (voire pas souhaitable), mais la mise en place progressive des compétences, organisations et méthodes spécifiques est indispensable.

De même, la capacité à remettre en question les configurations de marché historiques et à imaginer des partenariats innovants, notamment avec des concurrents ou des sociétés technologiques, permet d’accélérer et de sécuriser plus rapidement des positions stratégiques.

Développer un état d’esprit plateforme

Un jour ou l’autre, l’entreprise sera incitée, avec plus ou moins d’insistance de la part de ses clients et partenaires, à rejoindre les plateformes techniques qui simplifieront l’élaboration et l’utilisation des services analytiques. Il s’agit de dispositifs nouveaux en matière de relations commerciales et contractuelles, d’acteurs, de business modèles, de répartition des marges … . Les risques sont avérés et potentiellement critiques, et il est à ce sujet intéressant de garder en tête les expériences en la matière dans le BtoC.

Adopter un état d’esprit plateforme permet d’anticiper les scénarios de structuration des plateformes sur les marchés, de décoder les stratégies de ces plateformes, d’identifier les effets de réseau croisés dans le cas des plateformes multifaces et de préparer dans les meilleures conditions son arrimage.

S’engager dans l’action sans attendre

Sauter tout de suite dans la piscine ou attendre une éclaircie ? Dans le domaine du digital, la vitesse est essentielle et les retards ne se comblent que rarement et coûtent cher. Il est donc urgent d’agir, avec détermination et de façon progressive pour prendre un risque financier adapté aux moyens de l’entreprise, et, toujours très prudemment en ce qui concerne la gestion et le partage des données et de la propriété intellectuelle.

Retrouvez le décryptage d’Yves Pizay sur l’avenir des plateformes de santé.

Le 1er mars 2022, les groupes Malakoff Humanis, VyV et PROBTP ont annoncé entrer en négociation exclusive avec Cegedim Santé, en vue d’une prise de participation à hauteur de 18% dans le capital de cet acteur de la e-santé. Un investissement rendu possible du fait de leurs niveaux de solvabilité et leur taille sur le marché de la santé.

Cette annonce peut tout d’abord surprendre au regard des acteurs impliqués : il s’agit d’une association inédite entre un GPS interprofessionnel, un GPS professionnel et une UMG, regroupant entre autres une mutuelle individuelle professionnelle et une mutuelle centrée dans le collectif interprofessionnel.

Elle peut aussi surprendre par sa nature puisqu’il s’agit d’un investissement dans un acteur technologique historique, à l’opposé des licornes promues depuis plusieurs années dans les médias. Ce faisant, les trois groupes positionnent la technologie comme une arme stratégique. C’est un signal fort.

Cette annonce est une réponse stratégique à deux menaces structurelles du secteur

#01 – Une réponse au scénario « Grande Sécu »

En réalisant un investissement dans le « parcours de soins » au sens large, le quatuor indique clairement aux partisans de la Grande Sécu que l’avenir des Complémentaires Santé ne sera pas uniquement celui d’un assureur payeur aveugle, ni celui d’une OPA par les pouvoirs publics. Il prend date pour contribuer à l’optimisation de notre Protection Sociale en élargissant le terrain de jeu. Une option également défendue par la FNMF et qui fait sens.

#02 – Une réponse à la plateformisation engagée par DoctoLib

Selon nous, en mettant en commun leurs moyens, les nouveaux partenaires pourront se positionner comme une alternative indirecte à DoctoLib, qui ne cache pas ses ambitions d’uberisation de la santé.

Ils ont raison d’agir : la théorie économique prévoit qu’une seule plateforme biface sera prédominante par marché ou activité, laissant peu de place à la concurrence[1]. Est-il stratégiquement possible de dépendre durablement d’un acteur privé dans la Protection Sociale ? Le quatuor propose une alternative en faisant un pas de côté.

Il va donc y avoir un match entre plateformes dans la santé.

DoctoLib a clairement un coup d’avance et sort renforcée de la crise sanitaire. Pour autant, le quatuor dispose d’une masse critique et de moyens. Les trois complémentaires pèsent 26% du marché de la santé complémentaire, en individuel et en collectif, pour un CA cumulé de plus de 10.3 Md€ [2]. Le quatuor met en commun des assets conséquents en termes de professionnels de la santé et de nouveaux établissements de santé, créant de fait un carrefour opérationnel, un point de rencontre concret entre professionnels et financeurs de la Santé. Les pouvoirs publics pourraient aussi être plus à l’aise en s’appuyant sur une plateforme paritaire et mutualiste, une nouvelle traduction de la longue histoire de la Protection Sociale à la Française.

Le match n’est donc pas joué. Rien n’empêche que d’autres acteurs ne se décident à perturber la situation actuelle. Sans oublier que le prochain quinquennat pourrait être celui des partisans de la « Grande Sécu ».

Plusieurs questions stratégiques se posent pour les Complémentaires Santé :

  • Si l’avenir des Complémentaires Santé se joue en partie sur le parcours de soins et les plateformes, faut-il rejoindre ce quatuor ? Dans ce cas, est-il envisageable d’élargir la gouvernance établie par le quatuor ?
  • Au contraire, faut-il miser sur DoctoLib, la rejoindre et dans quelles conditions de partage de la valeur et de la gouvernance ?
  • Existe-t-il une troisième voie, par exemple celle de la neutralité au travers d’un double partenariat ?
  • Quelle sera in fine la position des pouvoirs publics ? Celle des corps intermédiaires dynamiques ou des licornes ?

Une chose est sûre, le monde de la complémentaire santé est en train d’écrire une nouvelle page de sa longue histoire.

[1] Dans d’autres secteurs, quelques plateformes peuvent co-exister, formant un oligopole (ex : AirBnB / Abritel)

[2] Base classement Santé collective et individuelle 2020 – Argus de l’Assurance ; pour un marché de la santé estimé en 2020 à 39 Md€ (cotisations perçues)

19 mars 2022, 23h, Stade de France : l’équipe de France de rugby exulte. Nous aussi. Nous l’avions désiré, rêvé. Ils l’ont fait ! Remporter le grand chelem, face aux Anglais, après 12 ans de disette. A ce moment, j’ai d’ailleurs une pensée pour cette génération qualifiée de « perdants et de perdue », qui malgré tous ses efforts, son engagement, n’a pas réussi à percer.

Ce succès, l’équipe le doit à un savant dosage

  • Une ambition assumée, redevenir une nation majeure du rugby mondial,
  • Une stratégie singulière : « Arrêtons de copier [les Anglo-Saxons], car on ne les rattrapera pas. On va couper à travers champs comme les Gaulois que nous sommes. »[1],
  • Une équipe dirigeante expérimentée et soudée, incarnée par le binôme Galthié – Ibanez, qui a réfléchi à son projet et qui l’a tenu, avec, sublime hérésie rugbystique, un Anglais dans le staff [2],
  • Un projet de jeu où les joueurs ont leur part de voix, un choix issu des stratégies gagnantes du handball et du rugby irlandais,
  • Un état d’esprit : la famille, l’amour du maillot,
  • Une coopération de l’ensemble de la filière rugby,
  • Le sens du projet avec une flèche du temps, conceptuelle et s’inscrivant dans le temps long donc décriée, raillée, incomprise, mais ô combien puissante [3].

Des joueurs boostés à la Data Science

Au-delà d’avoir su réunir ces ingrédients et d’en faire une recette du succès, la véritable innovation de Fabien Galthié réside dans le rôle central de la Data Science dans son projet.

Le rugby français, sport de puissance collective et de muscles individuels, mâtiné d’un indiscipliné esprit gaulois, utilise désormais pleinement la puissance de la Data. Le staff de l’équipe de France ne s’en cache pas :

  • Les capteurs sont omniprésents : les joueurs sont équipés de centrales inertielles ; des drones sont présents aux entraînements ; un simulateur de mêlée a été développé.
  • Tous les joueurs sont monitorés avant, pendant, après les matchs, en équipe de France et dans leurs clubs. Dans de nombreuses dimensions (physique, positionnement…)
  • Les matchs des équipes adverses sont décortiqués grâce à la Data Science. Les stratégies de jeu sont établies en mixant intuition, expérience, faits et modèles Data
  • Les modèles prédictifs et prescriptifs aident à la prise de décision pour composer l’équipe de départ et faire rentrer les finisseurs (que ce terme est magique).
  • Les données et analyses sont partagées avec tous, joueurs et clubs, en toute transparence.

Nos joueurs ont-ils pour autant été transformés en robots décérébrés ? En complément d’une dynamique d’entraînement et de préparation physique basées sur la Data, Didier Retière le constate comme nous sur le terrain : les joueurs sont restés libres. La Data Science n’est donc pas synonyme de la fin de l’individu lorsqu’elle est intelligemment mise au service d’un projet stratégique.

Fabien Galthié et toute son équipe, staff et joueurs, ont réussi à devenir des Centaures, au sens que donne la philosophe Gabrielle Halpern [4], dans un monde où tout s’hybride : une alliance inédite entre sport de haut niveau et Data Science, un rugby 2.0.

Nul doute que le staff de l’équipe sera fortement sollicité par les entreprises pour comprendre comment il a réussi à allier French Flair et Data Science. Pour nous, l’équipe Kea et Veltys, ils sont déjà une source d’inspiration.

[1] Le Figaro – interview de Fabien Galthié – automne 2021

[2] Depuis novembre 2019, Shaun Edwards est l’entraîneur de la défense de l’équipe de France de Rugby.

[3] Didier Retière, dans son article « La révolution copernicienne qui replaça le xv de France au Centre de la planète rugby » évoque la nécessité de penser son projet comme un bâtisseur de cathédrale. Avouons que cela est plutôt osé dans le rugby et dans une société de licornes ! – Le journal de l’école de Paris du management » 2022/1 N° 153 | pages 8 à 14

[4] « Tous Centaures. Eloge de l’hybridation » – Gabrielle Halpern – Editions Le Pommier

Article co-écrit avec François-Régis de Guenyveau, Responsable R&D du pôle Impact & Transformation responsable et Marc Smia, co-fondateur de Kéa

Analyse critique du capitalisme, plaidoyer pour une économie européenne assumant ses ressources culturelles

Depuis une dizaine d’années, nous assistons à une remise en cause profonde du capitalisme actionnarial et les dirigeants d’entreprise sont de plus en plus nombreux à tester d’autres voies : gouvernance partagée, modèles économiques à impact social, chaîne de valeur décarbonée, autonomie des équipes… L’esprit de responsabilité gagne du terrain, en Europe notamment où les entreprises se démarquent des modèles américains ou chinois.

Dans le livre « L’entreprise face à sa responsabilité », nous poursuivons un double objectif. D’une part, nous démontrons que l’entreprise est devenue l’épicentre des mutations du monde et que relever nos défis socio-écologiques passe par une réforme de sa gouvernance. D’autre part, nous proposons des clés de lecture des transformations du capitalisme à l’œuvre, sans moralisation et avec sens critique.

Analyse et critique de l’entreprise moderne

Après un retour aux origines et l’analyse des dynamiques que sont la mondialisation, le capitalisme, le libéralisme et la révolution industrielle, nous distinguons quatre esprits caractérisant l’entreprise moderne :

  • L’esprit de conquête : une soif de territoires à coloniser et à exploiter, concrétisée par la naissance de l’industrie pétrolière et du chemin de fer au 19ème siècle, par le pouvoir pris par la technologie et la data de nos jours.
  • L’esprit de rationalité : c’est l’organisation scientifique des activités, qui va de pair avec l’esprit de conquête.
  • L’esprit d’opulence : c’est la société de consommation amorcée par la naissance des grands magasins à la fin du 19ème siècle et entretenue par le marketing, grand champion dans l’art de susciter les désirs
  • L’esprit de mouvement, enfin, marqué par l’hyper-compétition, un capitalisme liquide et mouvant, la dictature du court-terme

Le capitalisme est un objet de critique et ce n’est pas nouveau. Il sait s’y adapter. Cependant, les transitions écologiques, sociales et sociétales que nous vivons mettent l’entreprise à l’épreuve. Pour survivre, elle doit se réinventer et faire émerger l’esprit de responsabilité – un nouvel imaginaire socio-culturel à traduire dans son fonctionnement opérationnel, sa gouvernance, son modèle économique, son management.

L’entreprise responsable : nouveaux modes de pensée

En une vingtaine d’années, la responsabilité s’est imposée partout : rapports RSE, lois environnementales, attentes des consommateurs, normes et certifications… Cependant, que veut dire « être responsable » pour une entreprise ?

La responsabilité a quelque chose à voir avec la réparation et la sanction au regard d’un fait passé. Mais c’est une notion en extension, à la fois dans le temps [on n’est plus seulement responsable des actions passées mais aussi de la préparation de l’avenir pour les générations futures] et dans l’espace [on est responsable vis-à-vis d’autrui, du voisin connu jusqu’à l’humanité anonyme et à la planète]. Cela nous confronte à un problème de mesure et de périmètre et à quatre écueils :

  • La fixité : la question ne peut se réduire à un ensemble de référentiels, de normes et d’indicateurs figés
  • Le flou : qu’est-ce que la responsabilité signifie pour un collectif d’individus ? Pour Gaspard Koenig, « une entreprise en tant qu’entité juridique dépourvue de souffrance comme de conscience ne semble pas qualifiée » (cf. La Revue de Kea n°24, ‘’Être responsable de soi-même avant de s’engager pour tout le monde »)
  • La fausse vertu : la responsabilité n’est pas une course à la dévotion
  • L’immobilisme que peut susciter le vent de dénonciation systématique et qui paralyse

Selon nous, la responsabilité d’une entreprise est fonction de l’impact de sa dynamique d’innovation collective sur la société. Autrement dit, si son activité affecte un territoire, des salariés, une commune, des fournisseurs, des actionnaires, des clients, des générations futures, alors sa responsabilité se traduira par sa capacité à rendre compte à chacun d’eux. Ainsi définie, la responsabilité implique quatre inflexions stratégiques de la part des dirigeants (Cf. La Revue de Kea n°24 – « Responsabilité, du discours à la contribution », Kéa) :

  • Prise de conscience
  • Partage du pouvoir
  • Articulation des temps
  • Préservation du commun

L’entreprise responsable : nouveaux modes d’action

Comment l’esprit de responsabilité s’incarne-t-il concrètement dans les composantes clés d’une entreprise ? Gouvernance, modèles économiques, management : c’est sur ces trois grands champs que nous proposons d’éclairer la question, en nous déplaçant du cœur de l’organisation vers ses parties prenantes.

En matière de gouvernance, la loi Pacte constitue une avancée remarquable. Elle incite les dirigeants à doter leur entreprise d’une raison d’être contributive, c’est-à-dire ayant un impact mesurable et positif pour la société et l’environnement. Cela suppose des engagements formulés dans les statuts et une transformation de la gouvernance pour en assurer la concrétisation. Le partage du pouvoir est une autre marque de l’esprit de responsabilité qui se développe aujourd’hui et qui change les rapports de force entre l’entreprise et ses parties prenantes : actionnaires, salariés en premier lieu. Les écosystèmes intégrés poussent cette logique un cran plus loin, dépassant la logique de rivalité entre acteurs d’une filière à une logique altruiste de préservation et développement du bien commun. Car aucun acteur ne peut affronter seul et contre tous l’ensemble des phénomènes planétaires que nous vivons aujourd’hui.

Modèle économique : c’est le cœur du réacteur. Se mettre en chemin sur la responsabilité passe nécessairement par une réflexion sur la mesure de la performance, le système de production et les sources de génération de valeur. Que mesure-ton et pourquoi ? Comment prendre en compte les actifs immatériels et le temps long ? Comment transformer les opérations pour que leur impact soit positif ? Quels modèles de croissance durables inventer ?

Enfin, le sujet du management s’impose : pas de transformation responsable de l’entreprise sans transformation personnelle de ceux qui la composent. Leadership responsable, autonomie des collaborateurs et épanouissement au travail, culture écologique et sociale constituent les trois axes d’innovation dans le domaine.

Au-delà d’une prise de conscience sur la nécessité de refonder l’entreprise, c’est en définitive à une autre conception du temps et du collectif que le livre « l’entreprise face à sa responsabilité » invite. Sans tomber dans les slogans faciles, la moralisation ou la notation. Une nouvelle vision du progrès émerge, mais avec lui émergent aussi de nouveaux travers qu’il s’agit de traquer.

Retrouvez le décryptage de Céline Choain dans le podcast de Luxurynsight x FashionNetwork, lors d’un échange avec Olivier Guyot, rédacteur en chef France de FashionNetwork :

Un mimétisme interdit, mais des modèles gagnants dans la mode qui se rejoignent sur 3 facteurs clés de succès

En 2020, dans un secteur où le mimétisme est interdit, nous avions néanmoins identifié 3 facteurs clés de succès communs aux modèles gagnants quels que soient leur maturité, niveau de gamme et leur taille (dans notre étude co-signée avec l’Institut Français de la Mode) :

  1. S’hybrider rapidement, au niveau géographique, des canaux et des voies commerciales
  2. Raccourcir le temps et l’espace dans une logique de « fast business model » : développer la capacité à sourcer en grand import tout en allant de plus en plus vite, à basculer d’un bassin de production à un autre, à trouver le bon partenaire sur les marchés internationaux
  3. Renforcer sa qualité d’exécution et d’innovation, avec des équipes engagées qui maîtrisent les métiers, intègrent les nouveaux, et mesurent-corrigent en continu

Depuis la crise sanitaire, qu’est-ce qui a changé pour l’industrie de la mode ?

A l’occasion de l’évènement « Rôle Modèle » organisé par la Fédération du Prêt-à-porter, Céline Choain, Senior Partner de Kea & Partners, revient sur les 5 grandes évolutions récentes du secteur au cœur de la transformation des marques, dans un podcast de Luxurynsight x FashionNetwork :

  • Des décisions beaucoup plus rapides sur les questions d’accélération digitale et de prise de risques commerciaux
  • Une accélération sur la data, remettant le client au centre : la data comme point d’entrée pour mieux cibler les clients, focaliser le marketing et adapter la création
  • Un prérequis de plus en plus prégnant : tenir les positions en matière de responsabilité
  • Une priorité stratégique donnée à la reconfiguration des modèles marchandises : calendriers commerciaux, structure de collection, …
  • Un besoin de s’ouvrir sur le monde : être plus alerte, s’inspirer des acteurs au-delà du secteur, et différencier innovation et création

Aujourd’hui, toutes les marques peuvent bouger. Bouger vite. Bouger sans nécessairement recourir à des investissements colossaux. De nombreuses solutions se trouvent dans les écosystèmes, dans la data et la Fashion Tech, et au-delà.

Écouter le podcast

Hélène N’Diaye, Directrice Générale Adjointe du Groupe MAIF et Directrice Générale de MAIF VIE, répond aux questions de Claire de Colombel, Directrice Kéa, et Yves Pizay, Senior Partner, Kéa.

Q#1 : Vous êtes reconnue comme une dirigeante et une femme engagée. Qu’est-ce qui a provoqué pour vous le « déclic responsable » ?

J’ai toujours eu des convictions personnelles en matière d’inclusion et de cohésion sociale. Ma sensibilité écologique est venue un peu plus tard, même si mon grand-père était agriculteur. En revanche, ces convictions se sont invitées plus tard dans le champ professionnel. Tant que j’étais collaboratrice et non dirigeante, je ne me sentais pas vraiment responsable des décisions prises et je n’avais pas connaissance des paradoxes et externalités liés à certaines décisions. Je sentais un équilibre relatif entre les différentes parties prenantes, cela me convenait.

Tout a changé il y a quelques années, quand on m’a confié davantage de responsabilités : j’ai eu une meilleure connaissance de l’équation globale, j’ai vu que les intérêts respectifs de l’actionnariat, des clients et des salariés n’étaient pas équilibrés. Je me suis retrouvée en conflit de loyauté par rapport à certaines décisions. J’avais la conviction qu’il fallait changer l’ordre des facteurs : considérer comme seule priorité le critère financier n’était plus possible pour moi.

Rejoindre la MAIF a été très naturel. La MAIF était déjà dans un cheminement d’engagements et l’équation se faisait entre dirigeants, salariés, sociétaires et administrateurs. Il y a toujours le critère financier dans l’équation, mais à sa juste place.

Aussi, j’ai fait en 2018 le choix qui s’imposait. D’ailleurs, je dirais qu’être société à mission c’est exactement ça : faire prendre conscience des conflits de loyauté potentiels à tous les niveaux de l’entreprise pour que chacun, en conscience, puisse prendre les bonnes décisions sans remonter à l’échelon supérieur. Si ce souci de justesse n’est pas partagé, l’entreprise ne peut pas avoir l’impact espéré.

Q#2 : Comment nourrissez-vous vos convictions en matière de responsabilité ?

En tant que rédactrice en chef du journal l’Actuariel, je travaille avec des journalistes engagés comme moi. Je prends beaucoup de plaisir à effectuer des recherches approfondies avec eux, sur l’impact économique des transitions, par exemple, en interrogeant des sociologues. En plus de cette implication, je me nourris de ce que je lis et vois.

« Il faut trouver l’équation qui nous permettrait d’être suffisamment radicaux pour réveiller les consciences (…) et suffisamment réfléchis (…) pour accompagner le mouvement. ».

Q#3 : Comment cela se matérialise-t-il dans votre quotidien ?

À titre personnel, je suis prête à faire des choix assez radicaux : je ne prends plus l’avion et je refuse d’acheter des marques dont on sait pertinemment qu’elles ne sont pas très respectables.

En tant que dirigeante, je pense que le « best effort » n’est pas suffisant, pas assez volontariste et que l’urgence de la situation fait qu’on ne peut plus s’opposer à la radicalité. Pour autant, je ne suis pas pour la décroissance car, dans le modèle économique actuel, elle mènerait à un contexte social explosif. En fait, tout est question d’équilibres. Il faut trouver l’équation qui nous permettrait d’être suffisamment radicaux pour réveiller les consciences et être à la hauteur des défis, mais suffisamment réfléchis et pédagogiques pour accompagner le mouvement.

« La situation fait qu’on ne peut plus s’opposer à la radicalité »

Exemple typique : les investissements. On doit évidemment investir massivement dans la transition, mais on ne peut pas pour autant lâcher d’un seul coup tous nos actifs échoués, ceux dont on sait très bien qu’ils n’auront bientôt aucune valeur. Autrement, on provoquerait des faillites, et ça serait probablement pire.

Cela dit, je pense que chercher les grands équilibres ne suffit pas non plus. À force de raisonner par dosage et prudence, on ne fait rien. Chacun attend que l’autre fasse le premier pas. Ma conviction, c’est que tant qu’il n’y aura pas un retrait massif des géants de l’économie d’hier, il n’y aura pas de transformation d’ampleur.

Q#4 : Justement, vous avez engagé MAIF VIE dans un projet de transformation ambitieux. Pouvez-vous en rappeler les principaux axes ?

Ils touchent à l’interne et à l’externe et sont liés aux grandes transitions écologiques et sociales.

En interne, il y a tout un travail d’embarquement des équipes et de contribution à tous les échelons de l’entreprise. L’inflexion majeure, c’est de passer des grandes décisions unilatérales à la politique des petits pas collectifs. Cela nécessite de faire pivoter complètement nos modes de travail, la manière dont on conçoit notre métier au quotidien, l’ordre des facteurs qui nous paraît juste dans nos décisions.

En matière d’offre d’épargne, nous voulons garantir des placements durables. Prime à la pérennité, à la sécurité dans le temps. Pour cela, côté investissements, nous portons une attention particulière aux actifs qui contribuent à la transition, en privilégiant bien sûr ceux qui servent une vraie stratégie climat. Nous avons une gamme de support d’unités de compte 100% labélisées (ISR, Greenfin, Relance et Finansol) sur nos contrats d’assurance vie. De plus, nos fonds euros sont soit 100% ISR soit dotés du label Finansol. Si vous épargnez à la MAIF, votre épargne sera forcément labélisée. Sur la prévoyance, nous travaillons autour de la sélection médicale, de l’accessibilité, de la mise à disposition de services.

« En tant que dirigeant, il ne faut rien lâcher. Vous devez incarner cette mission, en faire une préoccupation quotidienne, prendre chaque jour des décisions stratégiques à l’aune du nouveau statut de votre entreprise. »

Q#5 : Cette transformation a été rendue visible avec l’adoption du statut de société à mission. Quel effet cela a-t-il produit ?

Je le vois surtout comme une impulsion. Cela a demandé bien sûr du travail en amont, mais le vrai combat se joue au quotidien, avec deux sujets clés : le rôle du dirigeant et la mobilisation du collectif.

En tant que dirigeant, il ne faut rien lâcher. Vous devez incarner cette mission, en faire une préoccupation quotidienne, prendre chaque jour des décisions stratégiques à l’aune du nouveau statut de votre entreprise. Ce qui change réellement, ce ne sont pas tant les processus de décision que la pondération et la priorisation des facteurs pour les prendre : le financier n’est ni le seul ni le premier critère à prendre en compte.

« L’autre grand défi, c’est d’embarquer le corps social, c’est-à-dire les collaborateurs de MAIF VIE au sens large. Il faut être très humble là-dessus. »

L’autre grand défi, c’est d’embarquer le corps social, c’est-à-dire les collaborateurs de MAIF VIE au sens large. Il faut être très humble là-dessus. Autant, je pense qu’il y a une attente réelle de la part de la société en matière d’engagement des entreprises, autant il y a un chantier colossal du côté des collaborateurs. Historiquement, on les a peu habitués à prendre des initiatives et à aller au-delà de ce qu’attendait le patron. Récemment, nous avons proposé aux collaborateurs d’écrire ensemble les nouveaux accords d’organisation du temps de travail. Pour moi, c’est précisément à cela que sert le statut de société à mission : responsabiliser, créer la prise de conscience et d’initiatives à tous les niveaux.

En interne, nous avons lancé une démarche « zéro papier inutile et Green IT » afin que 100% des collaborateurs soient touchés par ce changement de pratiques. Nous n’avons pas encore suffisamment déployé la formation sur les sujets de responsabilité, mais nous avons commencé à l’aborder dans des modules de sensibilisation sur le gaspillage. A côté de ces petits pas, le sujet est bien placé au niveau stratégique : le Comité de Direction consacre chaque mois 1h à 1h30 à notre mission.

Nous nous appuyons aussi sur nos parties prenantes : communications sur nos nouveaux produits, plus axées sur l’impact que sur les avantages financiers, enquêtes sur les préoccupations du sociétariat qui nous permettent d’appuyer la mobilisation du réseau MAIF pour décliner et amplifier nos initiatives, etc.

Je pense qu’on peut faire beaucoup plus, notamment en poussant la granularité pour que chaque équipe opérationnelle trouve des solutions à son niveau. Historiquement, notre sociétariat est nativement plutôt sensible à ces sujets, mais ce n’est pas forcément le cas de notre corps social. Cela soulève beaucoup de questions en matière de ressources humaines. Devons-nous investir davantage en amont dans la marque employeur pour attirer les profils déjà sensibilisés ? Nous avons essayé plusieurs scénarios. Je constate qu’à nouveau, c’est une question de juste équilibre à trouver, dans un contexte d’urgence à agir. D’un côté, on est soucieux d’incarner des principes d’inclusion sociale : tout le monde doit pouvoir travailler chez nous. De l’autre, on est obligé de s’assurer d’un certain alignement du corps social avec notre mission et nos valeurs.

Q#6 : Comment se mesure l’engagement du corps social sur tous ces sujets ?

J’en ai une perception à travers les enquêtes internes, la nature des sujets qui remontent, la manière dont les dossiers sont portés. Est-ce suffisant ? Sans doute pas. D’autant qu’il peut y avoir des biais cognitifs dans les enquêtes internes.

Mais je me méfie beaucoup de l’automatisation de la mesure. Pour moi, il faut surtout veiller à ne pas perdre pied avec les équipes : ne pas se contenter des rencontres formelles avec les représentants, aller sur le terrain, discuter, comprendre leurs questions et leurs préoccupations, pourquoi pas leur offrir des espaces pour qu’ils puissent parler librement et donner leurs avis sur telle ou telle décision. J’estimerai notre transformation réussie le jour où nous aurons pris tous conscience que notre entreprise n’a pas la même place dans la société, que notre métier n’a pas le même rôle qu’auparavant dans la chaîne économique.

Q#7 : Pour résumer, cette transformation est-elle comme les autres ?

Non. Parce que c’est une transformation complexe dont personne ne connaît la cible a priori. Par exemple, j’ai été interpellée récemment par la question du télétravail. Je voyais à l’origine surtout les vertus au travail à distance : sur le plan écologique avec la réduction des transports, sur le plan social avec le fait de ritualiser des vrais temps en équipe, sûrement plus bénéfiques que les small talks de la machine à café, sur le plan du bien-être personnel aussi, avec la possibilité d’aménager son temps et son équilibre familial…

Et puis, j’ai compris que c’était plus complexe que cela. Un sociologue belge nous a notamment alertés sur les risques d’isolement et de repli de la société, avec des gens qui se parlent moins, ont moins de relations entre eux. Dans cette perspective-là, le bureau pouvait être plus qu’un lieu de travail : un vecteur de socialisation. J’ai revu mon jugement : faire du bureau un vrai lieu d’interactions, quitte à supprimer les bureaux individuels, ne pas régir le télétravail par trop de coercitions…

Avec le corps social, nous partageons la même ambition, les mêmes objectifs. Pour moi, une société à mission, ce n’est pas « Direction » contre « Salariés » : c’est tout le monde ensemble pour faire fonctionner l’entreprise et construire un modèle social souhaitable, dans lequel le lieu de travail est aussi un lieu de relations et de créativité.

« On ne sait à quoi ressemblera le monde dans 10 ans (…). Les modèles de demain ne sont pas encore écrits… »

Le télétravail, le dialogue social ne sont que des exemples. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne sait pas à quoi ressemblera le monde dans 10 ans, et que, par conséquent, on ne peut pas projeter la MAIF avec certitude. La mission aide certes à donner un cap dans les prises de décision. Mais elle ne dessine pas l’entreprise de demain… Bien sûr, il y a des changements de pratique dans nos métiers. Je constate par exemple qu’on renonce désormais assez facilement à des produits peu recommandables. Mais les modèles de demain ne sont pas encore écrits. Nous avons besoin de bons chercheurs pour cela, capables de mettre en cohérence l’économie avec les dimensions sociales, culturelles, environnementales…

Q#8 : Vous êtes optimiste sur vos chances de réussite ?

En interne, j’ai la conviction qu’avec le Comité de Direction nous prenons les bonnes orientations. Mais quand j’ouvre un œil sur l’extérieur, par exemple quand je lis les rapports du GIEC, cela me fait froid dans le dos… Dans quelques décennies, la MAIF sera toujours à Niort… mais ce sera un port !

Je pense que l’on n’est pas à l’abri d’un choc mondial, plus important encore que ceux connus récemment. Comme on ne sait pas d’où le coup va venir, il faut s’y préparer de manière holistique, se connecter à des tendances de fond : le réchauffement climatique et l’insuffisance des mesures gouvernementales, les inégalités de revenus devenues intenables… Le risque c’est que face à tous ces facteurs, on en vienne à opter pour le consensus, alors que c’est la pire des décisions ! Il faut au contraire faire des choix précis, ciblés, radicaux, tout en gardant une vision d’ensemble, en observant les tendances de fond, en écoutant les oppositions…

Q#9 : Un dernier mot ? Un conseil pour la fin ?

Les sujets de transformation responsable sont très inspirants et ils mobilisent beaucoup d’énergie. De mon point de vue, l’adoption du statut de société à mission permet de catalyser cette énergie, de lui donner du sens, de l’impact, de l’inscrire dans une vision plus large que l’entreprise. C’est beaucoup plus intéressant d’exercer son métier ainsi !

Hélène N’DYAYE

Du fait de l’urgence climatique et de l’évidence des enjeux environnementaux, la pensée de l’extra-financier a jusqu’à présent été déséquilibrée. Elle s’est focalisée quasi-exclusivement sur la réduction des externalités négatives, dans une vision souvent culpabilisante et punitive des activités humaines. Elle a négligé de fait les externalités positives des entreprises et, a fortiori, leur maximisation. Cela est d’autant plus paradoxal que les unes ne vont pas sans les autres, comme les deux faces de la même pièce.

Pourtant, l’histoire est en marche pour rééquilibrer la pensée et la pratique de l’extra-financier vers une appréhension plus mature et efficace des ressources cachées des entreprises : leurs actifs immatériels, humains, organisationnels et relationnels.

Fait notable : l’Union européenne renforce son leadership sur l’extra-financier. Le 28 février 2021, l’EFRAG [1] a publié un rapport [2] qui présente ses principales recommandations en vue d’élaborer une norme d’information extra-financière au sein de l’Union européenne [3]. Un premier ensemble de normes doit permettre aux entreprises de publier en 2024 un reporting sur l’exercice 2023 conformément à une nouvelle directive. Ce rapport de l’EFRAG fait de la mesure de l’immatériel son 6ème bloc constitutif et pointe du doigt les limites de l’information financière à date. Celle-ci ne reconnaît les éléments immatériels dans les états financiers que lorsqu’ils sont acquis (écart d’acquisition). Bien que l’état de santé des actifs immatériels d’une entreprise explique la meilleure partie des augmentations ou des baisses de sa valeur sur le marché, l’information financière ne reconnaît pas et n’envisage pas de reconnaître les actifs immatériels générés en interne. Une meilleure compréhension de l’impact des actifs immatériels sur la création de valeur financière apparaît donc comme un élément crucial de l’information sur la durabilité.

Pour la première fois, le projet de Directive européenne officialisée le 21 avril 2021 introduit dans ses processus d’établissement des normes la « dimension intangible ». Le mot « intangible » y apparaît 18 fois. L’information sur les actifs immatériels est qualifiée de « sous-déclarée, même si ces actifs représentent la majorité des investissements du secteur privé dans les économies avancées (ex : capital humain, marque, propriété intellectuelle et actifs liés à la R&D) ». « Il est donc nécessaire d’exiger des entreprises qu’elles divulguent des informations sur les actifs immatériels autres que les actifs incorporels reconnus dans le bilan, y compris le capital intellectuel, le capital humain, le développement des compétences, le capital social et relationnel, le capital de réputation ».

Les tentatives d’intégration du financier et de l’extra-financier sont nombreuses (Full Cost Accounting, Sustainability Assessment Model, E-P&L, comptabilité multi-capitaux…) mais ces travaux restent au stade de la recherche, avec des expérimentations rares et non transparentes. A l’inverse, la recherche sur l’immatériel est ouverte et en open source.

Mieux mesurer et activer l’immatériel permet d’appréhender la performance globale des entreprises, c’est-à-dire de faire le lien entre financier et non-financier, de prendre en compte les impacts réciproques entre une organisation et son environnement, de mesurer à la fois les flux et les stocks (la capitalisation des flux passés), de considérer le capital à la fois comme un passif à rembourser et préserver et aussi comme une « chose productive ». Mieux appréhender l’immatériel permet de penser la performance globale non pas seulement comme une question d’indicateurs mais comme une véritable transformation des comportements des acteurs économiques.

Tribune publiée le 7 juillet 2021 par Ekopo

[1] European Financial Reporting Advisory Group

[2] Proposals for a relevant and dynamic EU sustainability reporting standard-setting

[3] Project Task Force Non-Financial Reporting Standards

En 2021, à l’initiative des Entretiens de Valpré, une enquête a été réalisée auprès de managers et dirigeants, sur le thème du courage en entreprise. 150 personnes ont répondu au questionnaire :

  • La moitié des répondants sont des dirigeants et cadres dirigeants, un cinquième sont des managers.
  • Une majorité (56 %) appartiennent à des entreprises de moins de 50 salariés.

Cette enquête est complétée d’entretiens qualitatifs menés auprès de dirigeants et coachs de dirigeant.

Quels enseignements peut-on retirer de cette enquête ?

Enseignement #1

Pour la quasi-totalité des répondants (92 %) – dirigeants et cadres dirigeants, rappelons-le –, « devoir faire preuve de courage » fait partie de leur quotidien professionnel, le courage étant jugé une vertu « indispensable » pour réussir en entreprise pour 89% des répondants.

L’année au cours de laquelle cette enquête a été réalisée, marquée par l’épidémie de la Covid-19, les mesures prises par les pouvoirs publics et leur répercussion sur la santé économique des entreprises, n’a sûrement pas été pour rien dans l’importance donnée à la vertu du courage, en des temps incertains qui réclament prise de risque et résilience.

Pourtant, malgré ce climat global d’insécurité, seuls 20 % des répondants disent éprouver « très souvent » de la peur dans leur fonction, contre 66 % déclarant l’éprouver « de temps en temps ». Le courage serait-il donc l’autre nom de la capacité à surmonter sa peur ? C’est ce que pense en tout cas l’une des dirigeantes interrogées en entretien individuel :

« Le courage sans la peur n’existe pas. La témérité, c’est avoir à vaincre sans peur. On est très courageux quand on a très peur. Comme je suis très peureuse, je dois être très courageuse » (Dirigeante, entreprise de services)

Enseignement #2

La crise actuelle demande un surcroit de courage pour 87 % des répondants, et ce, particulièrement pour les managers et les dirigeants. Forçant un bouleversement brutal de la manière dont les employés travaillent, dont les clients se comportent et dont les chaînes d’approvisionnement fonctionnent, la crise exige le renouvellement des modèles d’entreprise, l’adaptation et la résilience, ce qui nécessite du courage, notamment de la part des dirigeants et des managers pour agir afin d’innover et de rechercher différentes alternatives pour réduire les impacts négatifs sur leurs entreprises.

Enseignement #3

Où va-t-on puiser les forces pour faire preuve de courage ? Les 3 principales sources citées sont :

1. Le sens de l’action professionnelle (plébiscité par 45 % des répondants) : nourri par l’ambition, la vision ou la raison d’être de l’entreprise, qui donne un plus grand sens au travail au-delà des objectifs économiques, permettant une vision claire de l’importance du rôle de chacun pour la société.

2. Les valeurs et convictions personnelles (plébiscité par 44% des répondants) : la famille, les valeurs personnelles, la foi, les convictions.

« Le courage, c’est aller là où nos convictions nous portent, surtout si elles sont à contre-courant » nous dit l’un des dirigeants interrogés.

« Le courage de tenir bon sur ses valeurs, c’est cela le vrai courage », affirme un autre.

3. Le collectif (plébiscité par 36% des répondants) : œuvrer pour le bien commun de l’entreprise, dans sa dimension sociale : les salariés, les clients. C’est aussi pour eux, et pas seulement pour soi, que l’on mobilise la ressource du courage.

Enseignement #4

Le courage, c’est d’abord pour les dirigeants oser dire, persévérer et donner de l’autonomie. C’est incontestablement une bonne nouvelle, car c’est une attente clairement exprimée par les jeunes générations, attente que l’on constate dans leur goût de plus en plus prononcé pour les petites structures, où elles pensent pouvoir prendre des responsabilités plus rapidement que dans les grandes.

On peut néanmoins avoir une pointe d’étonnement à la lecture de ce résultat car, naïvement, à l’heure des « entreprises libérées » et autres « univers VUCA », on aurait pu penser ce résultat en place depuis un certain temps déjà. Du coup, on en vient à se poser la question : est-ce si réellement le cas ? Cela interroge en tout cas sur l’adéquation des pratiques managériales des quinquagénaires et leurs aînés (rappelons que plus de la moitié de l’échantillon est constituée de répondants de 50 ans et plus) aux attentes des plus jeunes.

La génération des 50 et +, aux commandes des entreprises, a grandi à une époque où, en lieu et place de « l’autonomie » et de « la confiance », c’était plutôt des vertus comme la loyauté, la fidélité, la qualité d’exécution qui étaient recherchées. Mais les temps ont changé, et sans doute qu’une petite « mise à jour » du logiciel managérial ne serait pas superflue pour réduire les écarts générationnels.

Enseignement #5

Lorsque l’on demande aux interviewés quels peuvent être les plus grands freins à l’expression du courage des collaborateurs, on trouve une autre confirmation de l’importance du management, mais aussi de la culture de l’entreprise et des comportements individuelles.

Ces 3 dimensions ressortent très nettement dans les réponses les plus citées :

  • Dimension culturelle : « Ne pas encourager ses collaborateurs à oser »
  • Dimension managériale : « Donner peu de délégation et d’autonomie à ses collaborateurs »
  • Dimension individuelle : « Ne pas défendre son équipe »

Le courage trouve donc à s’exprimer à travers la qualité de ces 3 dimensions ce qui, là encore, peut être considéré comme une bonne nouvelle, car une culture qui encourage à oser, la valorisation de l’autonomie des collaborateurs et la promotion de l’intérêt collectif au détriment de l’intérêt individuel, cela se travaille, cela se développe.

Enseignement #6

92% des dirigeants pensent que leur entreprise encourage le courage, mais ce serait courageux d’aller le vérifier auprès des équipes : seulement 48% des managers et 63% des salariés sont d’accord ! Aurions-nous là un fossé au sein des entreprises, les cadres dirigeants s’illusionnant pour partie sur la façon dont leurs modes de management sont perçus par leurs collaborateurs ? Il ne serait sans doute pas inintéressant d’engager un dialogue sur ce sujet au sein des entreprises.

Enseignement #7

Quand on demande les personnalités qui incarnent le mieux le courage, 4 grands profils ressortent dans les réponses :

  • Dirigeants engagés dans la responsabilité de l’entreprise (33% des réponses) : Emmanuel Faber, Pascal Demurger, Bill Gates
  • Dirigeants qui ont fait preuve de résilience (17% des réponses) : Olivier Ginon, Elon Musk, Ben Smith, Jack Ma, Nicolas Dufourcq, Philippe Brassac, Frédéric Pierucci, Carlos Tavares, Jean-Pierre Farandou
  • Personnes politiques (10% des réponses) : Emmanuel Macron, Angela Merkel, Bernard Tapie, Thierry Breton
  • Pas une personne mais un collectif (10% des réponses) : Hôtels, patrons de PME confrontés à la crise, restaurants, représentants de la fonction RH

Rares sont les phénomènes pouvant être qualifiés de game changer dans la vie des entreprises. La Data est l’un d’eux. Parce qu’elle amplifie la stratégie, les modèles opérationnels et les métiers, la Data est une opportunité à ne pas manquer dans un monde en pleine transformation numérique.

Cette opportunité est clé pour le secteur bancaire dont le modèle de revenu est remis en question. En effet, l’environnement macro-économique reste durablement défavorable avec le maintien d’une politique de taux bas ainsi qu’une pression réglementaire soutenue. Les cartes du jeu concurrentiel sont rebattues : les banques en ligne deviennent des acteurs significatifs (Boursorama compte aujourd’hui plus de 3M de clients et en vise 4,5 M en 2025), le marché des néo-banques continue de se densifier avec des offres expertes notamment à destination de la clientèle professionnelles (un marché de 3,5 M de clients potentiels) et les GAFA gagnent des places notamment sur les offres relatives à la banque au quotidien et aux paiements (l’autorité de la concurrence a lancé, en 2021, une alerte sur le risque de marginalisation, à terme, des banques traditionnelles). Par ailleurs, de nouveaux standards sont à maîtriser pour répondre aux attentes des clients en matière d’expérience : fluide, simple, intégrant le digital avec la capacité à mobiliser les bonnes expertises lors des moments de vie clés.

Ces transformations sont de nature et d’ampleur inédites pour le secteur. Mais au-delà des menaces qu’elles représentent, s’y dessine des opportunités dont les banques traditionnelles doivent s’emparer. La Data est l’une d’entre-elles et les banques disposent, d’ores et déjà d’atouts pour en faire un driver de performance pour les dix prochaines années.

La Data : une opportunité à portée de main des banquiers

Deux piliers stratégiques des banques, l’équilibre client-produit ainsi que le positionnement en tant que tiers de confiance, sont réinventés au moyen des technologies centrées sur la Data. De ce fait, la concurrence des nouveaux acteurs est réelle et engendre, dès à présent, un manque à gagner en termes de PNB sur les activités bancaires les plus rentables (génératrices de commissions). Ces acteurs sont plus agiles : ils sont dégagés du poids du legacy et se sont créés « Data Driven by design ». Ainsi, les Fintechs proposent des offres spécialisées et au plus proche des besoins clients (ex : Qonto proposant un outil de gestion pour la clientèle PME et professionnels). Les grands acteurs de la tech / GAFA ont engagé leur diversification et pourraient disrupter le marché (gardons en mémoire l’exemple du site Booking qui a révolutionné la prise de réservation et de facto le business modèle du secteur hôtelier). Enfin, des évolutions technologiques, telles que la blockchain, apportent de nouvelles opportunités, par exemple sur les paiements internationaux, la gestion des garanties et le KYC (Know Your Customer).

Cependant, les banques traditionnelles ont des atouts significatifs pour se positionner sur la Data : compétences et expertises des collaborateurs, capacité d’investissement, base de connaissance des clients, historique et volume de données issues des systèmes d’information, positionnement reconnu en tant que tiers de confiance… Le risque porte davantage sur le transfert de valeur et de marge que sur la disparition de ces acteurs historiques.

Les banques françaises ont pris le virage de la Data mais présentent des niveaux de maturité différents :

  • #1 Mieux faire ce que l’on fait déjà. Dans la majorité des cas, la Data est utilisée pour développer la connaissance des clients, améliorer l’efficacité opérationnelle et répondre aux enjeux règlementaires.
  • #2 Développer des services en réponse aux besoins des clients, pour conserver, voire capter de nouvelles relations. Certains acteurs recourent à la Data pour améliorer la relation clients. C’est un usage en émergence qui reste un large champ d’opportunités à explorer. En effet, la data offre des capacités nouvelles dans une logique de conseiller augmenté : meilleure connaissance client, meilleur ciblage des offres, services et des segments à adresser, identification de nouveaux territoires de développement.
  • #3 Disrupter, Intermédier et « plateformiser » l’économie. La Data au service de l’ouverture de nouveaux marchés est très peu exploitée et reste pour le moment l’apanage de certaines grandes banques américaines.

Pour pleinement exploiter le potentiel de la Data, les banques doivent répondre à un défi de taille : construire un patrimoine de données exploitable. Nous entendons par là, collecter, organiser, structurer, mettre en cohérence et normaliser un nombre conséquent de données provenant de systèmes d’information qui ne communiquent pas forcément entre eux. Cette évolution est complexe car elle est fondamentalement transverse. Elle nécessite de créer de nouvelles filières Data transformant aussi bien le Métier que l’IT.

Néanmoins, tirer rapidement parti de la Data est possible en déployant des approches alternatives de type Minimum Viable Product (MVP). Pour rendre ces approches concluantes, les banques doivent adopter un état d’esprit de type startup : pour des usages internes (ex : prospection marketing, clustering …), elles peuvent s’autoriser à traiter des données qui peuvent comporter une marge minimale d’erreur. Bien évidemment, pour les cas d’usage à destination des régulateurs ou des clients, l’exactitude et la certification des données doit rester un prérequis.

6 convictions pour engager la transformation et devenir data-driven

#1 La Data est un actif stratégique, de niveau comité de direction

La Data est un actif stratégique qui doit être traité comme tel par les comités de direction : il nécessite des investissements, il possède un rendement qu’il faut maximiser en assurant les conditions de sa valorisation.

Aujourd’hui, la plupart des cas d’usage Data dans la banque concernent des sujets réglementaires et d’efficacité opérationnelle. C’est un premier pas pour réduire les coûts, voire améliorer la qualité de service mais nous sommes convaincus qu’il faut rapidement se donner des objectifs plus ambitieux : transformer les métiers grâce à la Data, proposer de nouvelles offres aux clients voire renouveler le marché en adoptant des logiques de plateforme de services.

#2 Un certain degré d’incertitude sur les données peut être toléré au démarrage

Les conditions d’un cas d’usage idéal sont rarement réunies : question bien posée, données normalisées et directement utilisables, disponibilité des métiers… Il faut accepter les compromis sur la qualité des données et l’exactitude de certaines analyses, pourvu que le résultat final ait suffisamment de valeur pour justifier ces choix tactiques, tout en s’assurant qu’ils ne mettent pas en danger l’intégrité du cœur de métier bancaire. L’amélioration, l’industrialisation et la spécification plus fine des analyses peuvent intervenir dans un second temps, en lien avec la montée en puissance d’une filière Data.

#3 Les cas d’usage créent rapidement de la valeur et des nouveaux services

Aujourd’hui, la plupart des banques ont commencé à prendre conscience de l’importance de la Data et ont déjà lancé leurs premiers cas d’usage. C’est très bien ! Nous sommes convaincus qu’il faut en lancer le plus vite possible sans s’imposer des prérequis inhibants comme construire un datalake (cf. construction du patrimoine de données), normaliser tous les référentiels. Ces cas d’usage ont pour but de créer de nouveaux services : « on ne vend pas ses données, on crée des services ! ».

#4 La filière Data est complémentaire aux filières transactionnelles et IT

Les banques doivent se doter de filières dédiées pour opérer la stratégie Data, permettre une industrialisation progressive, à travers la construction de briques élémentaires réutilisables, et identifier les nouveaux potentiels de valeur à exploiter. Cette filière Data est organisée autour de trois activités : la construction du socle Data (mise à disposition, collecte et normalisation des données), le développement de modèles d’analyse allant du descriptif au prédictif/prescriptif (business intelligence-BI, algorithmes, IA …) et la mise à disposition des services auprès des clients internes et externes (interfaces de restitution, Self BI …).

#5 La transformation des métiers doit être anticipée dès le début

Au-delà de la montée en puissance des nouveaux profils Data, il apparait nécessaire d’infuser la Data à tous les autres niveaux de la banque et dans tous les métiers puisque c’est le plus souvent en leur sein que l’on va pouvoir identifier les services à valeur ajoutée rendus possibles par la Data. Cette transformation passe par la diffusion d’une culture Data au sein de l’organisation et à travers les projets.

#6 Une démarche responsable est à adopter quant à l’utilisation de la Data

Les clients sont de plus en plus sensibles à l’utilisation qui est faite de leurs données (à titre d’exemple, nous pouvons citer l’annonce controversée de Whatsapp sur ses nouvelles conditions générales et le partage des données) avec également un encadrement réglementaire fort (notamment via la RGPD). Quelle doctrine éthique adopter sur les données des clients ? Quels choix quant au traitement et à l’utilisation responsable de la Data ? Quelles contributions à des initiatives sociétales ? Comment partager la valeur avec l’écosystème ? Autant d’enjeux de responsabilité à anticiper et organiser par les banques.

Industrialiser la filière Data et tirer le plein potentiel des données grâce à notre approche itérative

Imaginer, construire et industrialiser sa filière Data est avant tout une question de dynamique de travail et d’état d’esprit :

  • Cheminer par itération, prouver, apprendre, se remettre rapidement en question,
  • Penser loin et haut : les filières IT et digitales ne sont pas industrialisées en 9 mois, il en sera de même pour la filière Data,
  • Apporter un regard neuf, nourri par l’inspiration stratégique et éclairé par les réussites dans d’autres secteurs d’activité,
  • Travailler le collectif, en infusant la culture Data à tous les étages.

La méthode Tourbillon est l’approche que nous avons développée et éprouvée pour assurer la cohérence de la trajectoire d’industrialisation de la Filière Data.

4 champs sont ainsi abordés simultanément, avec une intensité différente selon le niveau de maturité de la banque :

La stratégie se construit en se basant sur des preuves pour s’assurer de la pertinence de la trajectoire. Chaque nouveau cycle permet d’accélérer l’appropriation de la Data par l’entreprise… et d’entrer dans une phase de plus en plus opérationnelle. Dès les premiers cycles, les champs avals sont travaillés : > Structuration du socle Data et initialisation du déploiement > Analyse des impacts sur la transformation des modèles et des métiers > Initialisation de la conduite du changement

Champ #1 la stratégie, pour mettre la Data au cœur de l’entreprise :

  • Définir le quoi, l’utilité de la démarche Data,
  • Analyser la maturité Data de l’entreprise (organisationnelle, fonctionnelle, technologique),
  • Ajuster le tempo au regard de cette maturité,
  • Mesurer l’effort à fournir (en intégrant la construction du patrimoine de données et la transformation des métiers),
  • Construire la trajectoire,
  • Sanctuariser un budget dédié à la Data.

Champ #2 les preuves, pour engager et entretenir la dynamique :

  • Réaliser des MVP pour apporter rapidement de la valeur aux clients ou en interne et répondre aux points de faiblesses identifiés lors des diagnostics,
  • Initialiser la construction du socle Data (travaux de collecte et normalisation à initialiser sur les données prioritaires les plus utilisées),
  • Piloter les efforts à travers des indicateurs de mesure et valoriser les premiers succès.

Champ #3 le scale-up, pour élaborer des capacités industrielles :

  • Construire le patrimoine de données,
  • Transformer les modèles opérationnels et les processus,
  • Organiser et piloter la montée en charge de la filière Data,
  • Organiser et déployer la transformation des métiers (Data Academy…).

Champ #4 le run, pour la production :

  • Maintien en condition opérationnelle du Socle Data, des moyens et de la gouvernance,
  • Revue périodique des modèles d’analyse et amélioration continue (passade de modèles descriptifs à des modèles prédictifs voire prescriptifs),
  • État de l’art technologique.
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