La nouvelle équation de prix gagnante !

Dans la lignée des premiers modèles de tarification en temps réel développés par les compagnies aériennes, les méthodes de pricing, qui ont la côte auprès des consommateurs, n’en finissent plus de se perfectionner. Exemple : la smart card [1].

Ce procédé de tarification dynamique breveté par Jet.com en 2016 avant d’être racheté 3,3 milliards de $ par Walmart un an plus tard [2], permet à l’utilisateur de réduire le prix de sa commande grâce à trois leviers cumulatifs : ajout au panier d’un nouveau produit, achat en nombre d’un même produit, renoncement à certaines options de livraison comme le droit de retour. Le succès est foudroyant et, moins d’un an après son lancement, Jet.com dépasse la barre des 4 millions de membres [3].

Prix Bas + Prix Transparents = Clients satisfaits. C’est la nouvelle équation de prix B to C

Quid du B to B ? A première vue, les modèles traditionnels de fixation des prix, fondés sur une logique de remises successives, semblent à l’abri de la vague digitale. Mais qu’en est-il réellement ?

  • B2B vs. B2C
  • Nouveau usages et nouvelles attentes clients B2B
  • Transformation du pricing B2B : de nouveaux prix de vente public grâce à la data
  • L’étape d’après : quels facteurs clés de succès pour transformer vos pratiques ?

[1] Les Dossiers Grande Conso, Editions Dauvers, 2017 [2] Jeremy Bowman, “1 Year Later, Wal-Mart’s Jet.com Acquisition Is an Undeniable Success”, in The Motley Fool, 03/10/2017 [3] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/distribution/wal-m

La transformation digitale par absorption : le cas Walmart

En 2016, Walmart, la multinationale américaine spécialisée dans la distribution, rachetait Jet.com pour opérer sa transformation numérique. Trois ans après, tous les voyants sont au vert, constate Yves Pizay, consultant chez Kea & Partners.

Annoncé le 26 février dernier, le rachat d’Aspectiva, une start-upisraélienne spécialisée dans la recommandation de produits, nous replonge trois ans en arrière. Le 8 août 2016, Walmart fait l’acquisition de Jet.com pour 3,3 milliards de dollars.

Ce montant record suscite l’étonnement de la presse financière américaine. En effet, Jet.com ne sera pas rentable avant 2020, selon les prévisions de Marc Lore, son PDG. La start-up a levé 565 millions de dollars en quatre cycles de financement et elle dépense sans compter pour attirer de nouveaux clients : son budget publicitaire, par exemple, oscille entre 20 et 25 millions de dollars par mois. On se demande à l’époque si cette opération ne sera pas un coup d’épée dans l’eau dans le combat contre les géants du web.

Nouvelle stratégie

Pour mémoire, à l’été 2016, la situation de Walmart est alarmante sur le plan numérique. Les ventes en ligne du distributeur américain sont inférieures à 14 milliards de dollars au premier semestre 2016 (contre 107 milliards pour Amazon). Plus inquiétant : cette atonie se prolonge en dépit d’efforts répétés pour inverser la tendance. Le Walmart Labs, filiale de Walmart dédiée à l’innovation existe depuis avril 2011, mais les résultats ne sont pas à la hauteur des moyens investis.

Le choix de Jet.com s’impose donc, et ce pour deux raisons. Tout d’abord, un modèle économique centré sur le client et fondé sur une technologie de prix innovante. La « smart card » est un procédé de tarification dynamique qui offre au consommateur la possibilité de réduire le prix de sa commande actionnant plusieurs leviers cumulatifs : des prix qui baissent pendant que vous faites vos courses, achat en quantité d’un même produit, non-souscription d’options de livraison, et enfin, le droit de retour.

Retour d’expérience gagnant

Trois ans plus tard, Walmart bénéficie aujourd’hui des premiers effets de synergie convergeant vers un renforcement de sa culture client ! En témoigne, l’ouverture dès l’été 2018 à New York, d’une plate-forme logistique dédiée à la préparation des commandes passées sur Jet.com et sur Walmart.com.

Les deux principaux objectifs de cet entrepôt : d’une part, booster les ventes de Jet.com, qui cible spécifiquement les Millenials branchés classe supérieure new yorkais ; d’autre part, renforcer la présence physique de Walmart dans la région, pour sécuriser la qualité du service de livraison à domicile, avec pour ambition de généraliser, à terme, la livraison à domicile le jour même.

Côté chiffres, l’accélération de la croissance des ventes en ligne de Walmart depuis l’été 2016 traduit indéniablement un effet Jet.com. Au printemps 2018, la croissance du e-commerce est d’environ de 33 %. Et cela semble désormais être le rythme de croisière de Walmart qui projette «une croissance de ses ventes en ligne d’environ 40% sur l’année fiscale 2019».

Une forte croissance

La transformation phygitale en cours a surtout des effets positifs sur l’ensemble du groupe, qui annonçait dès le deuxième trimestre 2017 une croissance de 3,8 % de son chiffre d’affaires, soit la plus forte jamais enregistrée depuis 10 ans. Trois ans après le rachat de Jet.com, tous les voyants sont donc au vert pour Walmart.

Un Walmart aujourd’hui à la page de ce que Jack Ma, le président d’Alibaba, appelle le nouveau retail : « cette intégration de l’online, de l’offline, de la logistique et de la donnée à travers une chaîne de valeur unique ». Une stratégie payante donc…

Tribune parue le 20 mars 2019 sur LesEchos.fr

A l’heure où la loi Pacte pose un cadre à la raison d’être et à la mission des entreprises, Arnaud Gangloff, Président de Kea, fait partie des 8 dirigeants engagés à dévoiler le dessous d’une transformation en responsabilité pour Nuova Vista. Avec une conviction : non, l’entreprise à mission n’est pas une utopie !

Sans naïveté ni présomption, nous sommes convaincus chez Kea & Partners qu’une telle transformation en responsabilité est l’occasion de construire des modèles économiques mieux ancrés dans notre siècle, distincts du modèle ultra-libéral et des formes de capitalisme autoritaire qui émergent dans certaines régions du monde.

« Au-delà de chaque citoyen, de l’État, des ONG, acteurs de la Société civile et instituts de recherche, l’entreprise a un rôle à jouer pour que la Société dans son ensemble soit soutenable demain. En tant que consultants en stratégie, nous avons un rôle clé à jouer : inciter, porter la voix, influencer nos clients au mieux de leurs responsabilités sociales et environnementales ».

Arnaud Gangloff

Retrouvez également les témoignages de :

  • Pascal Demurger, Directeur général, MAIF
  • Guillaume Desnoës, Dirigeant fondateur, ALENVI
  • Olivier Grabette, Directeur général adjoint, RTE & Nathalie Devulder, Directrice du développement durable
  • Philippe-Loïc Jacob, Président, CITEO
  • Emery Jacquillat, Président directeur général, CAMIF-MATELSOM
  • Isabelle Lescanne, Directrice générale déléguée, ONYX DEVELOPPEMENT – GROUPE NUTRISET
  • Anne Mollet, Directrice générale déléguée, PERL – GROUPE NEXITY

Envie d’approfondir le sujet ?

Ce que nous avons cru privatiser n’a en fait jamais été totalement privé. Il est toujours resté, sous la surface de nos parcelles, des liens d’interdépendance écologique et sociale.

Au cours de ces deux cents dernières années, la privatisation – superficielle – des ressources nous a permis d’augmenter de manière exponentielle leur extraction, leur rendement et leur exploitation. Cette intense activité économique a eu pour corollaire l’augmentation des connexions entre nous et plus généralement entre nos écosystèmes (échanges de marchandises, d’argent et d’informations).

De sorte, les décisions prises par les agents économiques influent sur un nombre croissant d’hommes, de femmes et d’équilibres écologiques parfois très éloignés des lieux de la décision initiale. La crise financière de 2008 en fut une illustration spectaculaire mais chaque jour des millions de décisions influent sur le devenir d’êtres vivants très éloignés des décisionnaires. Sans doute avez-vous appris par exemple que votre décision de choisir tel ou tel produit dans un rayon de supermarché français impacte les équilibres écologiques et sociaux en Indonésie. Peut-être avez-vous fait évoluer vos comportements d’achat suite à cette information, mais combien restent-ils de ces interconnexions dont vous n’avez même pas encore l’idée ? Des écosystèmes jadis isolés sont désormais connectés, des ressources immatérielles, comme nos connaissances, deviennent de nouveaux communs grâce aux technologies digitales et au développement d’applications comme Wikipédia.

Notre planète est en train de devenir une immense copropriété dont les parties communes sont en expansion et en empiétement croissants sur les parties privatives. A cet instant je vous imagine en train de lever les yeux au ciel en vous remémorant la dernière AG de votre immeuble et la quantité d’énergie dépensée pour aligner une majorité de propriétaires sur des travaux… Une solution pourrait être d’isoler son appartement du reste de l’immeuble, en construisant un mur par exemple ou encore en votant systématiquement contre toutes les résolutions proposées en AG… Mais vous l’avez deviné, les liens déjà tissés ne s’effacent jamais, le réflexe identitaire ne nous sera d’aucune utilité.

Alors oui, cela ne fait plus aucun doute, quelques deux cents ans seulement après avoir appris à devenir propriétaires, nous allons devoir réapprendre à devenir copropriétaires.

Je dis « réapprendre » car la communauté fut notre principal mode d’administration et d’exploitation de nos ressources jusqu’à la première révolution industrielle et l’essor de notre capitalisme moderne. C’est donc le bon moment pour nous replonger dans ce que l’économiste Elinor Ostrom écrivait en 1990 puisque c’est grâce à elle que nous avons redécouvert qu’il existait des principes de bonne gestion des communs :

  • Délimiter clairement la ressource commune (matérielle ou immatérielle)
  • Etablir des règles d’exploitation de la ressource cohérente avec la nature de la ressource
  • Faire participer largement les utilisateurs de la ressource à l’établissement et à la modification de ces règles
  • Responsabiliser les surveillants de la ressource devant les utilisateurs de celle-ci
  • Graduer une échelle de sanctions d’abord faibles visant à rappeler aux transgresseurs le sens de la règle
  • Permettre un accès rapide à des instances locales de résolution des conflits
  • Reconnaitre l’existence et la légitimité de la communauté au niveau des instances supérieures (et laisser faire son fonctionnement autonome)
  • Organiser à plusieurs niveaux (central / local, pouvoir / contre-pouvoir) les activités d’appropriation, d’approvisionnement, de surveillance, de mise en application des règles, de résolution des conflits et de gouvernance

Alors que les corps intermédiaires traditionnels et les institutions politiques perdent en audience et en légitimité, c’est notre rôle, en tant que personnes physiques ou personnes morales (entreprises, associations, syndicats…) de nous connecter à d’autres copropriétaires pour gérer localement et en communauté des actifs que l’on sait être des communs dont personne ne pourrait prendre efficacement la responsabilité à un niveau individuel.

Voilà ce que pourrait être un premier pas sur le chemin de la responsabilité : cultiver ses jardins comme des communs et non comme des enclos.

Optimisation de la gestion des flottes, maintenance prédictive, conception de nouveaux programmes… Les plateformes qui exploitent les données numériques se sont multipliées dans le secteur aéronautique. Un relais de croissance devenu incontournable qui nécessite d’élaborer pour chaque acteur une stratégie élaborée afin de garder son indépendance.

L’exploitation de données « massives » a bouleversé de nombreux pans de l’économie : commerce, médias, transports…. En proposant de nouveaux outils performants d’optimisation et de productivité, les plateformes chamboulent les structures préexistantes de marché : apparition d’acteurs et d’offres, développement de nouveaux modèles économiques et opérationnels. Dans certains cas, ces bouleversements conduisent à des phénomènes de « disruption », lorsque les leaders établis d’un secteur sont dans l’incapacité de percevoir et de répondre aux changements profonds de leur marché.

L’inéluctable développement des plateformes dans l’aéronautique

Le secteur de l’aéronautique ne fait pas exception. L’exploitation des données ouvre de nombreuses perspectives. Des applications permettent déjà aux compagnies aériennes d’optimiser la gestion de leurs flottes, et à terme, celle de leurs cycles de maintenance. Les avionneurs et équipementiers commencent à utiliser les datas pour faciliter et accélérer la conception de nouveaux programmes, systèmes et équipements.

Les MRO (Maintenance, Repair & Operations) développent des solutions analytiques pour optimiser leurs opérations de maintenance, améliorer la détection de panne, et proposer de nouveaux services. L’exploitation des données pourrait permettre de réduire une part significative des inefficacités de la filière : en conception, en production et en exploitation. À titre d’exemple, les interruptions opérationnelles de vol représentent un coût annuel de 60 Md$, qu’une meilleure anticipation des incidents permettrait de réduire.

En être sans se compromettre

Pour concrétiser ces opportunités, en particulier la maintenance prédictive, il est nécessaire d’accéder à des volumes et variétés de données conséquents : plans de conception, données de production, données de vol ou encore données de maintenance et de réparation. Or, jusqu’à présent, ces données étaient partiellement captées, et réparties entre une multitude d’acteurs, rendant complexe leur exploitation. C’est pourquoi les plateformes de données aéronautiques (Skywise et Aviatar par exemple) ont émergé depuis deux ans.

Ces nouveaux acteurs captent et agrègent de très nombreuses données issues de sources et de propriétaires différents et permettent aux compagnies aériennes un accès simplifié à l’ensemble de leurs données. Leur partage au sein de l’écosystème aéronautique permet d’élaborer des services analytiques à forte valeur ajoutée pour les Airlines. Elles offrent ainsi des perspectives attractives et vont rapidement devenir incontournables.

Si la proposition de valeur est claire, les plateformes méritent toutefois une réflexion stratégique approfondie pour qui voudrait les rejoindre. Tout d’abord parce qu’elles ont pour vocation d’organiser le marché du partage de données et des services entre tous les acteurs du monde aéronautique et exposent dès lors leurs participants à des risques d’intermédiation et de dépendance élevés. Une intermédiation quel que soit le secteur représente en moyenne un revenu entre 20 et 30 % pour les opérateurs des plateformes sur les produits et services commercialisés et une perte équivalente pour les opérateurs historiques.

Par ailleurs, les ambitions stratégiques des propriétaires des plateformes peuvent jouer au détriment de leurs participants. Ils pourraient tirer parti des données et algorithmes partagés pour construire et commercialiser leurs propres services à haute valeur ajoutée.

Un défi pour les plateformes : répartir la valeur

Ben que ces plateformes puissent être sources de risques stratégiques pour leurs acteurs, elles deviennent incontournables. Tout d’abord parce qu’il est par exemple difficile pour un équipementier de refuser de participer à une plateforme détenue par un avionneur : il s’expose en effet à un risque de non-sélection de ses produits. Mais surtout parce que les plateformes résolvent une friction majeure du marché : l’accès aux données. Tout acteur qui n’y participerait pas serait en situation de désavantage concurrentiel majeur.

L’enjeu reste cependant de partager la valeur de manière équitable. Les mécanismes économiques des plateformes conduisent à la consolidation et à des situations de quasi-monopole. Seule survivra la plateforme ayant réussi à agréger le plus d’acteurs, le plus rapidement. Seuls les participants ayant réussi à protéger leurs intérêts stratégiques en tireront parti.

Pour les équipementiers et MRO, il s’agira de ne pas donner accès à leurs données stratégiques, de garder le contrôle de la propriété intellectuelle des algorithmes, et de choisir la plateforme qui résoudra le mieux la friction du marché, c’est-à-dire, celle qui offrira la meilleure expérience aux compagnies aériennes. Ce sont des conditions nécessaires pour continuer à croître et à se développer en toute indépendance.

Tribune publiée le 21/07/2019 par l’Usine Nouvelle

Gestions des RH, impact environnemental, monétisation des données personnelles… les plates-formes du numérique ont leurs côtés sombres. Dans une tribune pour le Cercle des Echos, trois membres d’Entreprise et Progrès – Christine Durroux, Yanis Kiansky et Nathalie Rigaut – appellent les consommateurs et les dirigeants à agir.

Google, Uber, Facebook… Dans la galaxie des plates-formes, on naît petite, beaucoup meurent très vite, certaines grandissent et quelques-unes deviennent des supernovas. Neuf des dix plus grosses capitalisations boursières mondiales de 2019 sont des plates-formes du numérique. Elles inondent notre quotidien. Elles rapprochent les individus, permettent au travailleur de s’affranchir du lien à un employeur afin d’équilibrer à sa guise sa vie professionnelle et privée. Elles offrent des alternatives écologiques à la propriété et à la consommation de masse grâce à l’économie du partage et de la fonctionnalité. Jeunes ou moins jeunes… nous voyageons grâce à elles partout, plus loin, moins cher, plus vite. Nous achetons tout, tout de suite, tout le temps, facilement. Pour être informés et cultivés en permanence, nous restons connectés 24 heures sur 24. Nous voulons travailler et nous former quand ça nous chante. C’est possible, grâce aux plates-formes.

Prise de conscience

Mais elles ont leur face sombre. Leur fonctionnement s’accompagne d’effets rebond redoutables : surconsommation, rapport de force déséquilibré entre travailleurs, fournisseurs indépendants et plates-formes acheteuses parfois peu scrupuleuses en matière sociale. Les plates-formes transforment tout, elles reconfigurent le jeu concurrentiel. A chaque utilisation d’une plate-forme, celle-ci utilise et monétise nos données, ces empreintes de notre existence numérique que nous laissons sur les réseaux.

Pour les consommateurs, l’heure est à la prise de conscience. Le consommateur citoyen doit comprendre qu’il tient dans ses mains le destin des plates-formes, car leur modèle économique repose sur la demande du marché. Par le truchement de l’effet de réseau, chacun a un rôle déterminant à jouer : aider ou pas une plate-forme à atteindre la taille critique indispensable à sa survie. Plus informé que jamais, le consommateur a le choix, il a le pouvoir, mais le sait-il ? S’en sert-il ?

Les entreprises affrontent le même défi. Au-delà de la menace que peut représenter une plate-forme pour leur business historique, au-delà du risque de perdre son pouvoir de marché en partageant trop de données avec ces entités, les entreprises sont aussi des utilisatrices et des prescriptrices pour de multiples services. En ce sens, elles ont la capacité à faire émerger – ou non – des acteurs responsables et à favoriser certains usages auprès de leurs collaborateurs.

Ethique & équité

Alors, agissons. Construisons l’alliance entre dirigeants, entrepreneurs et consommateurs responsables, qui réinventera le modèle des plates-formes. La pédagogie sera cruciale. Les dirigeants doivent s’obliger à comprendre en profondeur le phénomène pour ensuite sensibiliser et former les collaborateurs, qui sont autant de citoyens. Augmentés, alertés, plus conscients que jamais des conséquences de nos actes numériques, nous allons devoir passer, enfin, du statut de consommateur passif à celui de « consommateur ».

Une plate-forme est d’abord une entreprise. Favorisons celles qui mettent l’éthique, le partage et l’équité au cœur de leur gouvernance. Donnons notre confiance à celles qui partagent la valeur de manière équitable avec tous les protagonistes, qu’il s’agisse du travailleur indépendant, du producteur, du détenteur de la donnée, de l’actionnaire ou du collecteur d’impôts. Retirons notre confiance et boycottons les entreprises qui se moquent des dérives environnementales ou sociales. Nous avons le pouvoir sur les plates-formes. Exerçons-le !

Les plates-formes sont des entreprises qui génèrent des externalités et doivent les assumer. Dans la perspective du Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises (Pacte), elles doivent trouver et affirmer leur raison d’être pour engager à la fois collaborateurs, clients, consommateurs et utilisateurs. Ce sera l’avantage compétitif durable des plates-formes responsables plébiscitées par l’alliance entre dirigeants et consommateurs.

Tribune publiée le 29 juillet 2019 par Les Echos

Elon Musk a récemment confirmé le lancement de Tesla Insurance en Californie, une offre d’assurance compétitive dédiée aux propriétaires de voitures Tesla. Aujourd’hui, sous la forme de courtier, mais demain probablement en tant qu’assureur de plein exercice. Effet d’annonce, nouvelle lubie d’un entrepreneur hors norme ou véritable menace pour les assureurs ? Décryptage.

Elon Musk persiste et signe. Avec le lancement de Tesla Insurance annoncé début septembre, les propriétaires de voitures Tesla habitant en Californie bénéficient désormais d’une assurance 20 à 30% moins chère que les tarifs en vigueur. L’avenir dira si cette offre s’applique au marché européen, mais l’annonce a déjà suscité de vives réactions.

Tout a commencé pour Elon Musk par un constat très simple : les assureurs ont du mal à évaluer le risque des voitures Tesla. Ce sont en effet des voitures électriques haut de gamme, bardées de technologies de pointe qui n’ont pas vraiment d’équivalent sur le marché, et donc pas de modèle de référence actuariel. Certes, en moyenne, elles se révèlent plus fiables que les autres (le dernier rapport trimestriel du conducteur californien montre que le risque d’être victime d’un accident dans une voiture Tesla est statistiquement 3 à 6,5 fois plus bas que celui auquel un conducteur américain est normalement exposé). Mais pour les assureurs, ces bijoux technologiques sont si sophistiqués que le moindre incident peut se révéler extrêmement coûteux. De surcroît, ce sont des produits rares et relativement récents. Les premières livraisons du modèle S, par exemple, ne datent que de 2012. Il est donc difficile de déduire des tendances générales pour construire des modèles actuariels robustes. Résultat, les assureurs compensent leur méconnaissance du produit par une hausse de la prime de risque. C’est exactement le même phénomène qui s’est produit il y a quelques années avec les voitures Autolib.

Elon Musk, dont l’esprit entrepreneurial n’est plus à démontrer, a pris l’exact contre-pied des assureurs. En avril dernier, il leur avait envoyé un premier signal en déclarant que le Groupe Tesla se sentait en mesure de couvrir le risque à leur place. Dans la foulée, le milliardaire Warren Buffet, fondateur de la holding Berkshire Hathaway, actionnaire de GEICO, l’un des principaux assureurs auto outre Atlantique, avait alors prévenu : « C’est un métier difficile. La probabilité de succès d’un constructeur automobile dans l’assurance est à peu près égale à celle d’un assureur dans le secteur automobile (autant dire quasiment nulle, ndlr). » En effet, le marché de l’assurance présente de nombreuses barrières pour les nouveaux entrants. Compétitif, réglementé, mobilisant des fonds propres importants, il requiert aussi des compétences ardues en matière de droit des affaires et de statistiques. Autant de coûts non négligeables que l’on ne peut a priori amortir que par un effet volume, en jouant sur la taille de la population. Or Tesla a-t-il les compétences requises ? Sa clientèle est-elle aussi importante que celle des assureurs traditionnels ? A l’évidence, non.

Qu’à cela ne tienne : Musk a préféré résoudre le problème par un autre angle d’attaque. Au lieu de ne considérer que les difficultés du métier d’assureur, il a misé sur les atouts existants de son groupe. Certes, les propriétaires de Tesla ne courent pas les rues (en France, les prix s’échelonnent de 43 000€ pour le Model 3 Standard Plus à plus de 200 000€ pour le Roadster Founders Series). Mais cette clientèle aisée et relativement homogène est parfaitement connue par son prestataire, notamment grâce aux quantités de données numériques que captent les multiples technologies installées dans chacune des voitures Tesla. En d’autres termes, le constructeur californien possède beaucoup plus d’informations sur ses clients qu’un assureur automobile ordinaire. Or, cette masse d’informations peut donner lieu à différents usages. Jusqu’à présent, elle a permis d’améliorer l’expérience de conduite de ses clients. Mais demain, elle pourrait tout aussi bien être utilisée pour calculer avec précision les probabilités d’accidents, et couvrir ainsi le risque de chacun. A terme, Tesla pourrait même assurer l’ensemble de son parc automobile à l’international, mais aussi les batteries électriques de ses clients, leur matériel informatique, leurs logements, etc.

On voit ainsi se dessiner les grandes lignes d’une stratégie tournée vers le client plutôt que le produit. Une stratégie qui ne se limite pas seulement à se diversifier pour croître, mais à créer un véritable « univers de consommation » de bout en bout parfaitement cohérent. Sous cet angle, l’ambition du Groupe Tesla ne consiste donc plus à devenir un constructeur automobile haut de gamme, ni même un assureur, mais plus globalement l’interlocuteur privilégié d’une certaine classe sociale aux revenus élevés.

Bien entendu, pour le moment, personne ne peut dire si Tesla Insurance s’imposera sur le marché. Mais une chose est déjà sûre : contrairement à ce qu’affirme Warren Buffet, il est non seulement possible de se lancer sur un marché complexe et réglementé sans en être natif, mais aussi d’en modifier les règles du jeu de manière durable. Pour mémoire, ce sont d’ailleurs des enseignants qui ont créé la MAIF et des artisans qui ont fondé la MAAF. Si la stratégie client d’Elon Musk ne semble pas encore menacer les acteurs européens, à long-terme, elle pourrait se révéler payante. Voilà le véritable enseignement que doivent tirer dès aujourd’hui les assureurs traditionnels.

Les Etats ne sont plus les seuls garants du bien commun. Pour Pascal Demurger, Directeur Général de la MAIF, « L’entreprise du XXIème siècle sera politique ou ne sera plus » et pour Emmanuel Faber, PDG de Danone, la mutation qui est en cours ne vise en effet rien de moins qu’un « nouveau contrat social entre le gouvernement, les entreprises et la société. » Si cette mutation se réalise, il y a donc tout lieu de parier qu’elle mettra chaque dirigeant devant une alternative décisive. S’en tenir au statu quo libéral selon lequel la seule responsabilité du chef d’entreprise consisterait à accroître ses profits. Ou bien explorer de nouvelles voies en cherchant à aligner les intérêts particuliers sur l’intérêt général.

C’est définitivement à cette seconde voie à laquelle Kea & Partners entend prendre part en tant qu’acteur d’une économie souhaitable, réconciliant performance économique et contribution au commun.

Qu’est-ce que l’intérêt général précisément ? Qui fixe les critères permettant d’en définir les contours et au nom de quoi ? Comment transformer l’entreprise en conséquence et par où commencer ?

Trois principes pour mener une transformation responsable

Face à une crise écologique, des tensions sociales extrêmement vives, une révolution digitale bouleversant les métiers traditionnels, il s’agit en premier lieu d’agir avec pragmatisme. Croître en responsabilité ne signifie pas tout traiter en même temps et au même niveau. Le dirigeant doit au contraire faire des choix, prendre des engagements clairs et mesurables, compatibles avec la personnalité de l’entreprise.

Le deuxième principe est celui de la cohérence. « S’il est nécessaire de doter l’entreprise d’une raison d’être conciliable avec le bien commun, il faut surtout lui donner corps, incarner cette raison d’être en matière de stratégie » note Arnaud Gangloff, PDG du cabinet Kea & Partners. Et cela ouvre des sujets aussi essentiels que la participation des actionnaires au projet de l’entreprise, la création d’un modèle économique efficient et circulaire, un partage plus équitable du pouvoir et de la valeur entre les parties prenantes.

Troisième principe, la vitalité. Arrimer l’entreprise à des objectifs intenables et figés risque de moraliser l’activité et de tuer dans l’œuf les initiatives personnelles. Ici, le rôle du dirigeant est double : s’assurer que ses collaborateurs partagent la même mission d’intérêt général, et veiller à ce que cette mission n’entrave pas la liberté d’entreprendre, mais au contraire la stimule et la favorise.

Pragmatisme, cohérence, vitalité. Ces trois mots doivent être nos balises dans la longue mutation qui s’annonce. Car au fond il ne s’agit pas tant de répondre ponctuellement à une crise écologique que de refonder notre système économique et social dans son ensemble, à l’échelle des entreprises comme à celle des nations. Un défi inédit dont la complexité n’enlève rien à l’urgence d’agir.

C’est pourquoi, Kea lance un appel à tous les dirigeants d’entreprise, chercheurs, intellectuels, politiques, chefs de fil d’associations désireux de contribuer au développement de pratiques vertueuses en entreprise : gouvernance partagée, décarbonation, reconquête de nos chaînes de valeur, investissement dans la formation et la R&D, emplois durables et qualifiants… A découvrir !

La loi PACTE, adoptée en avril 2019, a posé un cadre à la raison d’être et à la mission des entreprises, initiant en France un mouvement en plein essor. Prendre en compte les externalités, faciliter le dialogue social, définir le rôle de l’entreprise dans la société… autant d’enjeux auxquels les dirigeants sont confrontés.

Ils étaient d’ailleurs plus de cinq-cents chefs d’entreprise, cadres et entrepreneurs rassemblés à Lyon les 15 et 16 novembre 2019 lors des Entretiens de Valpré sur ce thème de la responsabilité. Que signifie cet embrasement collectif et que nous révèle-t-il des enjeux économiques actuels ? Que faut-il entendre par responsabilité ? Comment la mettre en œuvre au sein de l’entreprise et par où commencer ? Qu’est-ce qu’un leader responsable ?

De l’enquête effectuée par Kea & Partners visant à mesurer les nouveaux champs de la responsabilité en préambule des entretiens de Valpré, il ressort trois principes directeurs à l’attention des chefs d’entreprise.

Cohérence du modèle. Pour 75% des répondants, la responsabilité de l’entreprise est à la fois une affaire de résultats et de moyens, le chemin étant aussi important que la cible !. Cela signifie que les dirigeants ne peuvent exiger une transformation « à marche forcée », mais qu’ils doivent composer avec le temps long, la sensibilité des équipes, la complexité du terrain. Cela signifie aussi que les objectifs en matière de responsabilité doivent s’incarner concrètement dans les composantes de l’entreprise : adhésion des actionnaires, création d’un système de production et de distribution efficient et circulaire, consultation des parties prenantes dans l’exercice stratégique, représentativité des salariés, etc.

Exemplarité du dirigeant

Loin de l’héroïsme des chefs de guerre ou de la rigueur des contremaîtres, c’est avant tout le souci du bien commun qui est attendu (33%) : il privilégie les trajectoires communes aux trajectoires individuelles, fait grandir ses salariés, recherche l’harmonie… Il se doit ensuite d’être exemplaire (31%) : il inspire par ses actes qu’il met en cohérence avec ses valeurs et sait se remettre en question. Enfin, il est à l’écoute et ouvert (18%) et prend en considération le projet de chacun. 6 dirigeants sur 10 estiment mettre en pratique ces qualités de façon régulière, voire systématique, dans le cadre de leurs fonctions, et près de 75% voient déjà leur rôle évoluer sous l’effet de la montée en puissance des enjeux de responsabilité au sein de l’entreprise. Même, 73% déclarent devoir intégrer la dimension responsable dans leurs décisions et projets, bien que peu d’entre eux aient à rendre des comptes en la matière : seuls 26% des PDG et 17% des managers ont des objectifs chiffrés.

Responsabilisation des équipes

Les collaborateurs sont les tout premiers accélérateurs de la responsabilité de l’entreprise. Ils sont cités par 67% des répondants, devant les dirigeants eux-mêmes (66%), la société civile (54%) et les clients (53%). Loin derrière, l’État n’est considéré comme un levier de changement que pour 20%. Les marchés financiers sont quant à eux considérés comme les principaux freins à la mise en place d’une politique RSE (45%). Pour les chefs d’entreprise, l’enjeu consiste donc à offrir des marges de manœuvre suffisantes pour que chacun, à son niveau, dans la mesure de son travail, fasse croître l’entreprise en responsabilité.

Par ailleurs, l’exercice des responsabilités est encore associé de façon trop importante au pouvoir. D’une manière générale, les dirigeants et managers interrogés associent fortement la notion de responsabilité au pouvoir (32%), à la portée de leur action personnelle, au fait d’assumer les conséquences de leurs actes, mais également à l’impératif de construire un collectif fort en considérant l’ensemble des parties-prenantes de l’organisation (28%). A contrario, ils associent moins l’exercice des responsabilités à l’arbitrage entre le temps court et le temps long (20%) et à la bonne gestion des équilibres face aux tensions qui peuvent se créer dans l’entreprise (19%) alors que ce sont des enjeux clés face au rythme et à la complexité croissante des transformations auxquelles ils font face.

« Aujourd’hui, la plupart des dirigeants et managers ayant répondu à notre enquête se situent dans la moyenne de leur secteur en matière de RSE et ils perçoivent celle-ci encore trop comme une contrainte, de mise en conformité notamment. Trop peu la considèrent comme un moyen de se singulariser, comme un levier d’innovation et de création de valeur. Or, c’est à cette condition que l’entreprise pourra pleinement embrasser ses enjeux de responsabilité et accélérer dans ce domaine »

L’actualité managériale de ces dernières années produit comme un écho.

D’un côté, auteurs et praticiens remettent sur le devant de la scène les thèses en faveur de la responsabilisation des salariés. Une responsabilisation défendue bien souvent pour des raisons d’efficience, de productivité ou d’épanouissement professionnel, source de compétitivité, et qui ne peut aboutir sans un gain d’autonomie : marge de manœuvre dans les décisions, prise d’initiatives individuelles et collectives, réalisation des talents.

De l’autre côté, un nombre croissant d’observateurs et d’acteurs économiques appellent à une plus grande responsabilisation des entreprises pour combler les déséquilibres actuels et inventer un autre modèle économique plus respectueux de la société et de l’environnement.

Responsabilisation des salariés ; responsabilité des entreprises. Si ces deux sujets convoquent des stratégies et des transformations organisationnelles différentes, l’engouement dont ils font l’objet n’est pas le fruit du hasard ; tous deux sont en effet inextricablement liés (1). À vrai dire, il semble qu’une démarche d’autonomisation des salariés finit toujours par tirer le fil de la raison d’être de l’entreprise (2). Et réciproquement, un engagement social et environnemental de l’entreprise ne saurait être parfaitement crédible s’il n’est pas incarné à travers la responsabilisation de ses salariés (3).

1. La prise de conscience simultanée de l’autonomie des salariés et de la responsabilité des entreprises n’est pas le fruit du hasard

À l’origine, ces deux champs de pensée ont émergé pour répondre aux dérives sociales et écologiques du capitalisme traditionnel, tel qu’il a été conçu et développé à partir du dix-neuvième siècle. On trouve des échos de cette critique dans le champ académique, notamment à travers l’École des relations humaines (Elton Mayo, Kurt Lewin) à la fin des années vingt. Dans le champ littéraire, avec notamment les romans de Steinbeck (Les raisins de la colère, Des souris et des hommes). Ou encore dans le champ philosophique, avec des figures comme Simone Weil (La condition ouvrière) ou, plus récemment, Hans Jonas (Le principe responsabilité).

De tous ces écrits jaillit le même avertissement : le capitalisme libéral et technoscientifique structurant nos sociétés depuis deux siècles peut certes améliorer nos conditions de vie, mais il peut aussi fragiliser durablement la société et les écosystèmes naturels. Face au mythe d’un Homme devenu « maître et possesseur de la nature » par le secours d’un rationalisme pur, concentré sur la valeur de l’avoir, il s’agit de reconnaître la complexité du réel et de renouer avec la valeur de l’être.

2. Une démarche de responsabilisation des salariés finit toujours par poser la question de la raison d’être de l’entreprise et, in fine, de sa responsabilité

Est-il possible de responsabiliser durablement des équipes sur la manière d’effectuer leur travail sans leur en donner les raisons fondamentales ni leur permettre de contribuer aux orientations prises ?

Récemment, à l’occasion d’une démarche de responsabilisation dans un grand groupe industriel français, le premier souhait exprimé par les salariés a porté sur la maîtrise de l’impact écologique de leurs activités. Si cet exemple est un signe des temps, il illustre aussi le fait que chaque acte d’autonomie, quel que soit le niveau hiérarchique, est porteur d’une intention. L’effort fourni finit par interroger la finalité de l’activité poursuivie. Le « comment » vient questionner le « quoi » et le « pourquoi ». Il est donc illusoire de penser qu’un processus de responsabilisation des équipes puisse s’auto-entretenir durablement sans finir par questionner la raison d’être de l’entreprise.

Voilà pourquoi de nombreuses entreprises qui ont mené des expériences d’autonomisation ont fini par ouvrir le chantier de leur raison d’être ou de leurs valeurs. Voilà aussi pourquoi la loi PACTE introduisant le statut d’entreprise à mission préconise, simultanément, la participation des salariés aux instances de décision.

3. Réciproquement, la responsabilité d’une entreprise ne peut être pleinement exprimée et incarnée sans une démarche de responsabilisation de ses salariés

Deux visions s’opposent pour caractériser la place d’une entreprise dans son écosystème. La première est celle du désencastrement. Elle considère que les sphères sociales, environnementales et économiques sont indépendantes les unes des autres et que chacune possède des contraintes qui lui sont propres. La seconde est celle de l’encastrement. Elle considère que l’activité économique est imbriquée dans la société, que la société est imbriquée dans la biosphère, et que toutes trois sont liées par des interactions complexes.

Jusqu’à présent, le modèle d’entreprise dominant reposait sur la première vision. Mais de plus en plus de voix s’élèvent pour faire remarquer que cette posture est irresponsable, voire destructrice de valeur, et qu’il est urgent d’adopter une perspective d’encastrement pour répondre aux défis sociaux et environnementaux engendrés.

Nous pouvons appliquer le même raisonnement au niveau du management. La vision de désencastrement a dominé la pensée managériale, en séparant de manière radicale l’institution décisionnaire du terrain exécutoire. Or pour répondre aux défis sociaux et environnementaux, il est urgent d’adopter une vision d’encastrement dans la pratique managériale.

La première raison de ce nouvel impératif est d’ordre pragmatique. Solliciter la contribution des salariés est la seule manière de transformer l’organisation en profondeur. Aucune transformation de cette ampleur ne peut venir d’une seule tête pensante. La seconde raison est éthique. Impliquer les équipes est la seule manière d’avoir une cohérence entre le discours institutionnel et les actes par lesquels on le jugera. Pour le dire autrement, un discours de responsabilité d’un dirigeant soutenu par des actes philanthropiques personnels sera invariablement perçu comme du « mission washing ». Ce qui fait la différence, c’est l’expérience que chacun peut faire de son autonomie de décision et d’action pour contribuer à la responsabilité de son entreprise (c’est l’exemple emblématique de Patagonia). La troisième raison – biomimétique – relève davantage de l’intuition : il est probable qu’une entreprise qui fonctionne comme un organisme vivant et moins comme les rouages d’une machine a plus de chances de se connecter de manière synergique à son environnement. Or l’organisation en réseau de cellules autonomes et interconnectées des entreprises responsabilisantes est, à ce jour, ce que nous avons fait de plus ressemblant au fonctionnement de la nature.

Pour faire face à la complexité croissante du monde, pour ne pas l’occulter et ne pas rester interdit devant elle, Edgar Morin préconise d’user du principe hologrammatique : chaque individu contribue à composer le groupe, et, inversement, l’ensemble des caractéristiques du groupe se retrouve dans chaque individu. Cette dialectique, nous l’avons retranscrite sur le plan organisationnel autour du concept d’holomorphisme, selon lequel la dynamique de transformation d’une organisation vient de la tension entre la force de son unité d’action et les forces des jeux personnels de ses membres.

Il en va de même pour le sujet qui nous intéresse. Pour qu’elle soit effective et réponde de manière tangible aux grands enjeux sociaux et climatiques, la transformation de l’entreprise doit provenir à la fois de l’institution et des individus. En cela, nous pouvons dire qu’il n’y a pas de responsabilité d’entreprise sans autonomie des salariés.

Extrait de l’ouvrage collectif « Au-delà de l’entreprise libérée – Enquête sur l’autonomie et ses contraintes » sous la direction de Thierry Weil et Anne-Sophie Dubey, publié en 2020 par la Chaire Futurs de l’Industrie et du Travail. Préface de Jean-Dominique Senard

Nous sommes convaincus que la réussite d’une entreprise n’est pérenne qu’à compter du moment où elle est en mesure de concilier sur une longue période les impératifs de l’institution qu’elle représente avec les aspirations du corps social qui la compose.

C’est pourquoi, de 2012 à 2019, nous avons mené l’enquête, grâce au Cultural Value Assessment du Barrett Values Centre (BVC), sur les aspirations des Français et sur les valeurs émergentes pour eux-mêmes, l’entreprise et la nation. Celles-ci sont mises en regard avec celles exprimées dans d’autres pays, grâce aux données du BVC, et soulignent les enjeux propres à la France.

En quoi consiste le baromètre valeurs des français ?

5 questions sont posées à un échantillon de 1 000 personnes, représentatif de la population française de plus de 18 ans. On demande à ce panel de citoyens de choisir dans une liste de valeurs, les 10 qui représentent le mieux

  1. leurs valeurs personnelles,
  2. celles décrivant leur perception de la nation et du monde de l’entreprise aujourd’hui,
  3. celles qu’ils souhaiteraient vivre à l’avenir.

Dans la liste de valeurs ou mots, il y a des termes positifs et des termes négatifs, ces derniers sont qualifiés de valeurs freins.

L’analyse des résultats s’attache aux valeurs qui ressortent dans le TOP 10 et 20, ainsi qu’aux évolutions d’une année sur l’autre, en mesurant l’écart entre les valeurs vécues et désirées et les variations par segment de population. Certaines années, nous réalisons également des analyses d’écart par rapport à d’autres pays européens.

Les tendances observées dans la durée

Les valeurs personnelles des Français évoluent très peu dans le temps. Pour autant, nous nous attachons aux écarts mêmes très faibles afin de capter les changements à l’œuvre.

Les valeurs vécues dans la Nation se caractérisent depuis 2012 par un top 10 intégralement négatif, situation qui est répandue dans d’autres pays européens.

Les valeurs vécues dans l’entreprise restent elles toujours plus positives.

Que nous a appris le dernier baromètre (2018-2019)

L’analyse des écarts entre valeurs vécues et désirées nous montre que les Français demandent en entreprise plus de participation : respect, partage d’information, écoute, confiance ou encore management participatif et implication collective sont les vocables plébiscités.

Pour répondre à ces attentes, faut-il donc ouvrir largement le dialogue pour définir ensemble les orientations stratégiques de demain ? Pas exactement répond Arnaud Gangloff.

« L’un des défauts de l’entreprise, en particulier française, c’est que l’on y discute beaucoup et que l’on n’y agit pas suffisamment : plus qu’un dialogue large sans certitude d’aboutissement, il s’agit donc d’ouvrir à discussion les sujets sur lesquels les collaborateurs se sentent légitimes pour exprimer leur opinion, où ils ont une capacité réelle à influencer les décisions et disposent de moyens d’action. Et ce pour un objectif précis : libérer l’énergie les initiatives pour mettre l’entreprise en mouvement à tous les niveaux.

Dans le contexte de la loi Pacte, ce sont ces entreprises, dîtes à mission, qui seront le plus à même de faire bouger les lignes, c’est à dire des entreprises qui assument statutairement une responsabilité vis-à-vis de l’ensemble de leurs parties prenantes, dont leurs collaborateurs. Les dirigeants s’engagent à écouter et à influer leurs positions en retour et, en contrepartie, demandent à tous de contribuer activement à la dynamique de l’entreprise ».

Un mécontentement porté par certaines catégories : les femmes, les jeunes et les chefs d’entreprise

Si la part des valeurs négatives est remontée (+0,8 point) en 2018, les jeunes (moins de 35 ans), les femmes et les chefs d’entreprise sont les catégories qui ont surpris par leur colère vis-à-vis de l’entreprise ou de la nation. Cependant, si les moins de 35 ans sont souvent critiques, les femmes et surtout les chefs d’entreprise se sont toujours montrés, depuis 2012, plus indulgents envers la nation notamment.

En 2018, les valeurs négatives sont en hausse de 3,1 points chez les femmes, de 5,1 points chez les moins de 35 ans et 16,7 points chez les chefs d’entreprise.

« En 2018, les femmes sont en décalage : plus exigeantes que les hommes dans leurs attentes sur les dimensions santé et environnement, leur perception de leur vécu dans la nation, comme dans l’entreprise est plus sévère. C’est une tendance dont les entreprises doivent tirer parti. Au-delà des enjeux d’égalité, les femmes, à travers leur sensibilité sur ces sujets d’avenir, représentent un moteur puissant pour l’entreprise afin de la mettre en mouvement et d’assurer sa transformation ».

GAFA et autres BATX, les acteurs de l’économie du partage font désormais partie intégrante de l’économie structurée : 9 des 10 plus grosses capitalisations boursières aujourd’hui sont des entreprises plateformes, obligeant les acteurs traditionnels à se réinventer.

Mais que sont réellement les plateformes ? Quel business-model se cache derrière ces success-stories ? Par ailleurs, devons-nous nous questionner sur le dessein philosophique et politique – le projet pour l’Homme – que sous-tend un tel développement ?

En contribuant au cercle de réflexion du think & do tank Entreprise & Progrès sur le modèle des plateformes, Kea & Partners pose plus largement la question de l’avenir de nos entreprises et de leurs relais de croissance et d’innovation. Avec quel poids économique demain, de l’Europe notamment ? Avec quelle contributions sociales, fiscales et environnementales ? Et quelle place de l’humain dans cette nouvelle équation de marché ?

Une conviction se forge : le partage de la valeur est central pour que le développement des plateformes s’inscrive dans la durée. À l’heure de TechForGood et de l’avènement de la loi PACTE, l’enjeu de transformation des entreprises par la responsabilité est majeur.

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