À l’heure où la loi PACTE passe son dernier examen devant le Sénat, le monde de l’entreprise peut s’interroger sur sa mise en pratique, au-delà du brouhaha médiatique.
Si l’on s’accorde sur la nécessité de se saisir des sujets sociétaux et environnementaux pour construire une société soutenable demain, alors l’entreprise a un rôle majeur à jouer, au-delà de l’État des ONG et des citoyens. Les États-Unis et l’Italie se sont dotés d’un cadre légal allant dans ce sens (B Corp, Società Benefit), pourquoi pas la France ? Ou plutôt comment ne pas nous inscrire dans la continuité du modèle social européen, qui promeut la liberté d’entreprendre, le développement d’une économie durable, des conditions de vie et de travail sans cesse améliorées, une excellence opérationnelle associée à un sens du service et du bien commun [1] ?
Mettre l’entreprise et ses collaborateurs sur la voie du progrès continu, c’est tout l’objet de la loi Pacte qui donne un cadre juridique optionnel à "l’entreprise à mission", allant au-delà des seules raison sociale et raison d’être. Il s’agit bien ici d’aider les dirigeants à placer la responsabilité au cœur du projet de leurs entreprises, en fixant un cap, en exprimant une mission, en attachant à cette mission des engagements et des éléments de mesure de ceux-ci. Innovation majeure : ce n’est ni une norme, ni une obligation de plus mais une loi incitative qui respecte l’intelligence des dirigeants et leur donne la possibilité d’avancer au rythme de leurs organisations, au mieux de ce qu’elles peuvent faire, à leurs meilleurs efforts. Une loi qui s’inscrit dans une dynamique de modernisation de la vie économique et de l’entreprise, en reconnaissant la vocation de celle-ci au-delà de son rôle d’acteur économique et de sa simple finalité de dégager un profit au service d’actionnaires.
Dès lors, comment ne pas y souscrire ? Par peur d’un mission-washing qui ne fait pas progresser ? C’est sans compter que se mettre au diapason de la loi donne en réalité déjà des marges de manœuvre au dirigeant et que cela lui permet d’amener le débat sur les statuts. Car de telles évolutions statutaires posent des questions de fond sur l’entreprise avec les actionnaires.
Si risque il y a, il serait ailleurs, en ne sachant pas faire la différence entre l’authenticité et l’intention d’une part et l’exhaustivité et la norme d’autre part. Certains dirigeants peuvent, de manière intentionnelle, assumer un écart assez significatif entre les valeurs qu’ils projettent et la réalité de ce qu’ils font, alors que d’autres bien que sincères ignorent qu’il existe au sein de leurs organisations des pratiques en contradiction avec l’entreprise à mission. C’est assez difficile pour un dirigeant de pouvoir garantir qu’aucune erreur ne sera commise chez lui. La question de la réputation étant particulièrement sensible, le sujet pourrait être pris par la norme et générer alors un risque de stigmatisation de l’erreur, de l’inattention, ce qui n’est pas souhaitable.
Ne nous y trompons pas, le risque à ne pas accompagner le changement en gestation, porteur d’une entreprise responsable, plus respectueuse envers les collaborateurs, la société et la biosphère, est bien plus grand. La responsabilité est un puissant levier de performance qui se mesure à trois niveaux : être en conformité avec la Loi ; assurer la pérennité de l’activité en faisant de la responsabilité une opportunité d’améliorer la manière d’opérer et de se mettre à un niveau de standard au-delà de la Loi ; contribuer au bien commun [2]. Ce dernier niveau est l’opportunité de créer un actif immatériel incomparable, un premium de marque dont Patagonia est peut-être l’exemple parfait.
Sans naïveté ni présomption, je suis convaincu qu’une telle transformation en responsabilité est l’occasion de construire une entreprise mieux ancrée dans notre siècle, distincte du modèle ultra-libéral et des formes de capitalisme autoritaire qui émergent dans certaines régions du monde. Rien n’est plus puissant, dit l’adage, qu’une idée dont l’heure est venue !
[1] Le modèle social européen et l’Europe sociale, Catherine Mathieu et Henri Sterdyniak, Revue de l’OFCE, 2008 [2] L’heure de l’entreprise responsable, La Revue de Kea & Partners n°21, juin 2017
Tribune parue le 22 février 2019 sur LesEchos.fr
Arnaud Gangloff
PDG & Partner
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