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Les 3 niveaux de la responsabilité d'entreprise



Face aux évolutions du monde, la question de la responsabilité se pose à chacun d’entre nous, en tant que citoyen et en tant qu’acteur du monde politique, de l’administration ou de l’entreprise… Pour l’entreprise, c’est au dirigeant de prendre position et de faire des choix forts pour l’avenir.

La responsabilité peut être appréhendée comme à l’origine de l’action ou comme une conséquence. On la conçoit soit comme une réponse satisfaisant au mieux les attentes des parties prenantes, soit en tant qu’élément fondateur et de premier plan de l’entreprise. Elle devient alors un vecteur de singularité et d’innovation, susceptible de générer un avantage compétitif et de permettre à l’entreprise d’être à l’origine des normes qui s’appliqueront à toutes les autres. Quels sont les arbitrages à faire par le dirigeant sur des enjeux parfois antagonistes ? Quels indicateurs de performance mettre en place ?

Pour une entreprise, être acteur de la société, c’est agir sur trois niveaux et prendre en compte un nombre croissant de parties prenantes.


1- Etre en conformité

L’objectif pour l’entreprise à ce niveau est de réduire ses impacts négatifs sur ses parties prenantes. La conformité est une obligation. Elle est principalement régie par la règlementation nationale ou internationale ainsi que par les normes, labels, initiatives et référentiels (dits « softlaws »). Le périmètre de la conformité ne cesse de s’agrandir, ce qui demande d’en brosser une définition et d’en dessiner les contours.

Quels référentiels choisir ? Se place-t-on dans une logique de pure conformité à la réglementation ou souhaite-t-on s’imposer des standards plus élevés (par exemple, l’entreprise Switcher a fait le choix de garantir la traçabilité totale de tous les tee-shirts qu’elle produit) ? Comment gérer les disparités géographiques : un alignement sur le pays le plus exigeant (au risque de diminuer la compétitivité) ou sur le minimum dans chaque pays ou région (au risque d’affaiblir la réputation) ?

Ensuite, il s’agit de s’atteler à la gestion des risques. Quelle est l’organisation adaptée (structure, processus, reporting) pour mettre en œuvre et faire respecter les référentiels retenus ? Comment développer la culture de gestion des risques au sein des équipes ? Comment organiser la veille et la perception des signaux faibles pour anticiper les évolutions de la norme (réglementaire ou sociale) ?



2- Assurer la pérennité de l’activité

Le but ici est d’adapter l’activité de l’entreprise aux évolutions environnementales, sociales et sociétales afin de garantir son existence dans le futur par un impact positif sur ses parties prenantes directes. Le modèle d’entreprise et son adaptation aux évolutions environnementales ou sociétales sont au cœur du sujet. Car ces évolutions sont souvent de nature à remettre en cause les fondements de l’activité.

Par exemple, le passage du moteur à essence au moteur électrique dans l’industrie automobile, la décentralisation de la production pour le secteur de l’énergie, le mouvement vers une production locale respectueuse de l’environnement et de la santé des consommateurs dans l’agroalimentaire… Ces changements résultent principalement de forces externes : l’environnement, les consommateurs, les citoyens, les ONG, les marchés financiers… Ils présentent des caractéristiques qui en rendent la gestion plus difficile. D’abord, ils sont souvent antagonistes vis-à-vis des intérêts économiques à court terme de l’entreprise. Ensuite, ils ne prennent pas corps brutalement mais sont le fruit de processus d’évolution progressive, souvent lents qui nécessitent de faire coexister l’ancien et le nouveau modèle (par exemple, les véhicules hybrides ou électriques se développent mais constituent encore une part très minoritaire du marché, l’élasticité des prix existe mais n’est pas sans limite…).

Enfin, les parties prenantes les plus engagées en matière de RSE œuvrent souvent loin du cœur d’activité de l’entreprise, rendant ces évolutions difficilement palpables pour les équipes. Ainsi seuls 12% des dirigeants estiment que leurs investisseurs attendent un développement des stratégies RSE dans l’entreprise et 34% que plus de salariés devraient prendre des responsabilités dans ce développement afin d’insuffler une "culture RSE".

Sur le fond, il s’agit de développer de nouveaux modèles métier, qui doivent, au moins temporairement, cohabiter avec les modèles existants, même s’ils sont antagonistes. Concepts, compétences, organisations, partenariats, systèmes de mesure de la performance… il est parfois nécessaire de réinventer totalement le métier pour permettre la transformation de l’offre de l’entreprise.

Pour mener cette transition à bien, quatre lignes de force guident l’action :

  • une conviction claire du dirigeant,

  • la recherche d’un équilibre entre un présent qui persiste et un futur à construire,

  • un effort de pédagogie

  • et des indicateurs auxquels se référer pour mesurer les avancées.


3- Contribuer au bien commun

Il s’agit là pour l’entreprise de participer au développement de l’être humain et de lui permettre, compte tenu des évolutions démographiques, environnementales et économiques, de pouvoir vivre le plus harmonieusement possible. Ce niveau est le plus éloigné de son cœur de business et pose des questions inhabituelles, dépassant le plus souvent le cadre de son activité.


L’importance de plus en plus forte d’enjeux de nature à déstabiliser le monde et les sociétés (hausse de la démographie mondiale, dérèglement climatique, baisse de la biodiversité, augmentation de la précarité, vieillissement de la population…) et la difficulté des Etats à les traiter seuls questionnent les entreprises de façon pressante sur leur rôle vis-à-vis de l’intérêt général. Qui plus est les parties prenantes de l’entreprise changent de posture dans ce sens. Les jeunes générations ont tendance à faire de l’intérêt général un choix de vie : sélection de leur employeur, engagement dans le bénévolat, engouement pour les formations spécifiques et pour l’entrepreneuriat social.


En outre, agir pour l’intérêt général, loin d’être incompatible avec le business, procure au contraire un supplément de performance, comme de nombreuses études l’attestent. Ainsi, 66% des consommateurs sont prêts à payer davantage pour des biens ou des services durables (The Sustainability imperative », étude Nielsen, 2015), 64% des consommateurs attendent que les marques contribuent à une société meilleure et 51% des consommateurs disent que, demain, leur fidélité ira à des marques engagées pour un meilleur futur. Ainsi, aux Etats-Unis, les entreprises ayant augmenté de 10% ou plus leur investissement sociétal ont vu leur croissance progresser de 8,3% en moyenne entre 2013 et 2015, alors que la moyenne pour l’ensemble des autres entreprises a été une décroissance de 2,3% (« Giving in numbers », CECP, 2015 et 2016).

La question n’est donc pas pour l’entreprise de contribuer ou non à l’intérêt général, mais bien de savoir comment. Au regard de la complexité actuelle et de la maturité des sociétés, il est évident que la philanthropie (historiquement très développée dans le monde anglo-saxon) ne suffit plus.

Il existe trois facteurs clés de succès pour mener cette transformation de l’entreprise :

  • La stratégie sociétale doit être totalement intégrée dans la stratégie globale et non se concevoir comme un « à côté » de l’activité économique.

  • De ce fait, l’action sociétale doit être gérée non comme une charge mais comme un investissement focalisé sur un petit nombre de projets (afin que chaque projet bénéficie de ressources plus importantes) et dans la durée.

  • Qui dit investissement, dit instrument de mesure. Pour estimer l’impact sociétal des actions engagées, il faut se doter dès leur lancement du référentiel le plus adapté (il en existe de nombreux), choisir les indicateurs clés en prenant en compte la capacité à les suivre et, enfin, piloter ces indicateurs…

En France, de nombreux dispositifs favorisant l’investissement dans l’intérêt général ont été mis en place. En particulier les politiques de défiscalisation permettent aux entreprises de s’engager à moindre coût. Pourtant le niveau d’engagement reste largement en deçà de ce qu’il est dans les pays anglo-saxons où cette tradition est très forte.

Conformité, pérennité et participation au bien commun… chacun de ces niveaux obéit à des logiques de transformation différentes.




Les trois niveaux de responsabilité évoluent très vite et des éléments dits de pérennité deviennent rapidement des éléments de conformité, tandis que des éléments de bien commun deviennent des éléments de pérennité, nécessitant pour l’entreprise de s’adapter, voire d’anticiper.


Trois forces majeures créent une tension positive et poussent les dirigeants et les entreprises à devenir acteurs de la société :

  • La société : ne pas agir c’est prendre le risque de perdre en compétitivité, en termes d’image, de performance économique, voire de capacité à produire. Mais au-delà de cette gestion du risque, agir permet de créer de la valeur tant économique (diminution des coûts, sécurisation des chaînes de valeur, capacité à justifier un prix plus élevé que les produits concurrents compte tenu d’une valeur perçue plus forte par les clients) qu’en matière de réputation auprès des consommateurs et des salariés qui y sont de plus en plus attachés et en font une condition de leur fidélité et de leur engagement.

  • Le régulateur : toutes les règles fiscales et règlementations ne sont pas actuellement de nature à générer de nouveaux comportements et une responsabilité étendue de l’entreprise. Il est néanmoins plus que probable que le législateur ait le souci croissant de faciliter les évolutions, en favorisant les expérimentations de nouveaux modèles, en édictant des règles à même de susciter des comportements vertueux ou en imposant, en ultime recours, des réglementations pénalisant les acteurs les moins responsables.

  • L’éducation : en cohérence avec les règles historiques du marché, le système éducatif a longtemps formé les acteurs et futurs acteurs de l’entreprise à l’aune de la seule performance économique, mesurée via… des indicateurs économiques. Cela n’est plus le cas et la majorité des cursus présentent des approches de la responsabilité plus larges, avec une vision de la performance plus holistique, dépassant les bornes strictes de l’activité de l’entreprise et intégrant des critères sociaux, environnementaux, qualitatifs et quantitatifs. La nouvelle génération de managers sera donc porteuse de ces principes.

Tribune publiée le 6 décembre 2017 sur le site de Harvard Business Review France



Benoit Gajdos

Partner & Directeur Général de CO Conseil






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